LA LÉGENDE DE KASPAR HAUSER
Du Jodorowsky en mode électro-punk
Dès le premier plan, c’est l’hallucination totale : Vincent Gallo filmé de dos face à un paysage désertique, levant le poing vers un ciel soudain strié de soucoupes volantes, le tout sous une bande-son pulsative à gogo. On sent déjà pointer l’ovni filmique, mais ce n’est encore qu’un amuse-gueule comparé à ce qui va suivre. Au terme d’un générique de début à la Gaspar Noé, le décor est planté : un no man’s land peuplé de freaks en tous genres (un tueur à casque de moto, un infirme, une duchesse, une putain, un prêtre footeux, etc…), au calme soudain détruit par l’arrivée d’un type à moto dans un village déserté qui gueule des onomatopées à tout bout de champ. Nous voilà revenus chez Jodorowsky, période "El Topo". Puis voilà une baston musicale entre un shérif (Vincent Gallo, avec le look de Francis Lalanne) et un curieux tueur (Vincent Gallo, avec un casque blanc de moto), filmée comme un happening. Tiens, Quentin Dupieux aurait-il donc signé ce film sous un pseudonyme ? Et pourquoi le shérif se shoote-t-il avec une seringue grosse comme un fusil à pompe ? Et puis, d’où sort-il, ce type androgyne que les vagues ramènent sur la plage ?
Pas facile à qualifier, ce film-ovni. Pourtant, on ne regrette à aucun moment le voyage, surtout parce que sous ses airs de fourre-tout punk et iconoclaste, cadré dans une magnifique photo en noir et blanc, se trame une double richesse très perceptible qui fait toute la singularité du projet. Il faut d’abord indiquer que les scènes du film ont sans cesse l’air de revisiter des pans entiers de différents courants artistiques (surtout la peinture et la danse moderne) au travers des codes de plusieurs genres cinématographiques (surtout le western et la quête initiatique), avec la symbolique de la transmission et de la foi en intraveineuse. Loin de servir de prétexte pour limiter le film à un gigantesque clip arty sans queue ni tête, la musique est ici élevée au rang de religion pour les personnages, que chacun se charge autant de transmettre à l’autre que de pulser à travers son propre corps. D’où ces séquences où l’action et le rythme font preuve d’un accord parfait.
Mais surtout, le titre du film évoque la célèbre figure de Kaspar Hauser, jeune et mystérieux enfant sauvage qui fut retrouvé à 16 ans en train d’errer dans les ruelles de Nuremberg en 1828, et dont la possible ascendance aristocratique reste encore une énigme à percer (à noter que Werner Herzog en avait tiré un film, sorti en 1974). Le réalisateur Davide Manuli prend heureusement soin d’éviter tout lien historique : son Kaspar Hauser sera ici un être androgyne qui refusera tout rapport social au profit d’un apprentissage du métier de DJ, et incarné à l’écran par la sidérante Silvia Calderoni, dont le talent de DJ performeuse en Italie trouve ici un fabuleux terrain d’activité.
Il faut la voir, cette actrice démentielle, se lancer dans une succession de danses improvisées, toujours à deux doigts de friser la transe (version douce) ou l’épilepsie (version dure). Bien plus que le reste du casting (déjà bien barré au vu de la prestation schizo de Vincent Gallo), elle est la pierre angulaire de cette stupéfiante proposition de cinéma, à la fois soucoupe volante surgie de nulle part et rave électronique où tout le monde jouit d’une électrocution interne, boosté à intervalles réguliers par d’hallucinantes nappes d’électro que l’on doit au groupe français Vitalic.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur