LE TRAÎTRE
Tout est une affaire de valeur
Tommaso Buscetta ou « Le Boss des deux mondes » membre de Cosa Nostra, décide au début des années 80, après son arrestation au Brésil et son extradition vers l’Italie, de collaborer avec le juge Falcone et ainsi de porter un coup fatale à l’organisation…
Le principal reproche qui peut être fait au film de Bellochio est qu’il est un peu long. Ce n’est également pas un film pour ceux qui sont allergiques au film de procès ou au film sur la mafia. Une fois ces écueils dépassés, la proposition de cinéma que fait le réalisateur s’avère très réjouissante. En effet, le film essaie autant que possible de fuir les longueurs, et ainsi, c’est avec un minuteur que sont introduits tous les personnages et la série de meurtres qui va suivre, expliquant la fuite de Tommaso Buscetta en Amérique du Sud.
D’autres efforts pour condenser et rythmer la narration sont également faits dans les scènes de procès, où le réalisateur travaille beaucoup sa mise en scène pour dynamiser ces longs dialogues où deux siciliens assis, dans un dialecte incompréhensible pour les juges, se lancent des piques chargées de sous entendus. Bellochio travaille la géographie si particulière de la salle d’audience bunker où près de 400 détenus sont interpellés et font face à leur ennemi juré, Tommaso Buscetta, responsable de leur arrestation. Il utilise la profondeur de champ pour faire un va et vient entre les détenus et le témoin, mais aussi des raccords le long d’un rail de travelling afin d’éviter les champs contre champs mous dans des scènes de dialogue fortes comme la confrontation entre Buscetta et son ancien ami Pipo Calló.
Bellochio cherche à comprendre ce qui a pu conduire un personnage comme Buscetta à « trahir » Cosa Nostra, tout en clamant à son procès qu’il n’était pas un traître, qu’il n’avait pas brisé la loi du silence, mais qu’au contraire, il était le seul réel défenseur de Cosa Nostra face à ceux qui l’ont pervertie. Il explique que la mafia n’existe pas, il n’existe qu’une seule chose, Cosa Nostra, un système de valeurs et d’ententes entre des hommes d’honneurs, qui certes commettent des crimes, mais qui ont des limites. Un système où le profit n’est pas sensé être roi et un système qui aurait été, à la base, créé pour protéger les plus démunis.
Une des pistes qu’explore le film est l’arrivée de la drogue, de l’argent facile, et donc du capitalisme dans ce système médiéval qui l’a fait s’effondrer. Dès lors, Buscetta apparaît, - et Bellochio suit plutôt cette direction - comme un vaillant défenseur d’un idéal perdu. Toutefois, ce reproche que l’on pourrait faire au réalisateur, de jouer avec l’Histoire pour faire un biopic séduisant sur Tommaso Buscetta, consisterait à oublier une séquence, qui parcoure tout le film et qui le clôt : une histoire que Buscetta raconte au juge Falcone quand il lui explique son entrée dans Cosa Nostra, une histoire qui met une décennie à se réaliser.
Ainsi, "Le Traître" est une belle réussite formelle, très bien incarnée, qui s’intéresse à un évènement important de l’Histoire contemporaine et qui s’attache à celui par qui est venu le scandale, mais non pas seulement comme symbole et homme public, mais aussi en tant que qu’individu, qui a du finir sa vie en exil, tout en réalisant son rêve, mourir dans son lit. Rêve qu’il devait à son ami Falcone, qui n’a pu, lui, le réaliser.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur