LE TEMPS DU VOYAGE
De sujet en racines du sujet
Au camp d’internement de Jargeau, à proximité d’Orléans, 1200 tziganes ont été enfermés de mai 1941 à décembre 1945. Henri-François Imbert retourne sur les lieux, où est aujourd’hui construit un collège, et par ce biais s’intéresse à la culture gitane…
En octobre 2003, le documentariste Henri-Francois Imbert sortait en salles "No pasaran, album souvenir", film sur les destins de républicains espagnols, dont la genèse venait de la découverte de cartes postales chez ses grands-parents. Dans son nouveau documentaire, le réalisateur utilise à nouveau ponctuellement des cartes postales, mais aussi des images d'archives, pour expliquer en voix-off ce voyage sur des sites en France, dernières traces des camps d'internements de « nomade ». Des camps ordonnés par le régime de Vichy, mais qui se maintiendront jusqu'à fin 1945, bien au-delà de la libération d'Orléans (1,5 ans avant) pour celui de Jargeau. Si le film explique bien les choses, avec près de 6500 gitans répartis dans 30 camps, les traces physiques de ces méfaits et donc les images restantes sont rares. Le camp de Jargeau a été remplacé par un collège, et le second visité se limite à deux blocs de 3 marches dans un champ, menant à un perron de baraquements aujourd'hui disparus.
Fort justement, au lieu d'insister sur ces traces qui convoquent un sombre imaginaire, l'auteur bascule rapidement sur des rencontres avec les descendants des disparus, et sur les efforts pour imposer une reconnaissance de ces méfaits par l’État français. Si le spectateur aura alors un peu l'impression d'un autre film que celui qu'on lui a vendu, ce choix s'avère parfaitement justifié, et permet de s'intéresser à la culture et au mode de vie gitan, en donnant pour une fois la parole à cette population, rarement entendue, même si souvent représentée au cinéma. On découvre alors l'écart entre mode de vie nomade et société sédentaire, avec notamment l'existence d'un carnet anthropométrique d'identité nomade, instauré en 1912, et supprimé seulement récemment.
Si au départ, certaines affirmations offusquées peuvent surprendre (« on a voulu nous gérer »...), les origines, la culture et la mémoire nécessaire d'un peuple sont abordées, au travers du montage d'un spectacle à Arles, et les difficultés sont évoquées (réputations qui ont la dent dure, sédentarisation progressive, loyer des terrains occupés, scolarisation en cours d'année...). Et si la parole, comme libérée, au travers du spectacle comme des interviews, permet de mieux comprendre les racines d’une exclusion encore rampante, elle donne aussi à voir le fossé qui sépare encore ces populations des administrations qui régissent la société française.
Malheureusement le réalisateur ne pose pas clairement les questions concernant la cohabitation entre nomades et locaux. Pourtant en filigrane certaines contradictions se font jour, en captant d'un côté le sens aigu de la liberté mais aussi le sens réduit de la propriété, en affichant le refus de s'inscrire dans des logiques administratives ou de payement de loyer pour les terrains occupés, tout en affichant le besoin de scolarisation des enfants (visiblement beaucoup plus optimistes que les parents en termes d'insertion). Apparaissent alors forcément des questions d'égalité de traitement entre citoyens et de participation à la vie collective de la société sédentaire traversée, qui viennent forcément entrer en collision avec la volonté d'être reconnu comme citoyen européen ou français. Autant de questions qui semblent évitées, même si pointe une inquiétude légitime concernant « 2 mondes face à face », incapables de vivre ensemble voire de communiquer. Si l’on comprend bien que Henri-François Imbert a préféré se focaliser sur des tentatives de partage d'une culture, plus que de connexion avec celle majoritaire, on aurait aimé que le film fasse le tour du sujet qu’il a choisi au final de mettre lui-même en avant.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur