LE SIXIÈME ENFANT
Vers l’impensable
Franck sort discrètement de sa caravane où dorment ses cinq enfants et sa femme Meriem, pour aller aider un collègue en train de brûler les gaines de câbles, qu’ils vont ensuite revendre à une casse. Mais la vente se transforme en altercation avec l’acheteur, les obligeant à fuir avec leur camionnette. Provoquant alors un accident, Franck se retrouve déféré devant le juge, où son jeune avocat, Julien, lui obtient du sursis contrairement à son complice. Suite à l’audience, lui et sa femme, Anna, avocate dans l’immobilier, font un détour pour les déposer, et acceptent de s’arrêter un instant pour un verre de remerciements. Mais lors de la discussion, il apparaît que si Franck et Meriem ont cinq enfants et ne peuvent se permettre un sixième, Julien et Anna, eux, ne peuvent pas en avoir…
Le premier long métrage de Léopold Legrand est entièrement centré autour du thème du désir d’enfant, porté ici par le personnage interprété par Sara Giraudeau, qui se retrouve au départ désarçonnée par la proposition faite par le couple qu’ils ont rencontré dans le cadre d’une affaire. La femme jouée par Judith Chemla est en effet disposée, malgré ses convictions religieuses, à laisser une autre élever son sixième enfant, les finances de son couple ne permettant pas ce luxe, entre dettes et outil de travail (la camionnette) disparu. Plus que la question morale posée par cette proposition au premier abord indécente, le scénario, très finement, s'intéresse à l'évolution parallèle des deux personnages féminins, l'une vivant la grossesse de l'autre par procuration, l’autre persuadée d’abord du bonheur à la première. Peu à peu se profile le drame, dans une tension allant crescendo, alors que cette gestation devient prédominante dans la vie du personnage de Sara Giraudeau.
Les deux actrices sont tout juste bouleversantes, Sara Giraudeau dévoilant progressivement une faiblesse psychologique derrière sa détermination sans bornes, alors que Judith Chemla se rassure par rapport à ses convictions de croyantes, aidée par des dialogues marquants (« c'est quand on fait du mal qu'on va en enfer »). La condition d'avocats de deux des personnages vient de plus rajouter une épée de Damoclès supplémentaire au dessus de l’inimaginable arrangement, interrogeant leur déontologie et amenant progressivement une possible divergence au sein du couple, alors que la conscience du danger semble s'effacer. Après un mouvement d'étau scénaristique, quelques belles idées de parallèles entre les inquiétudes des deux femmes (la scène où chacune de son côté, elles n'arrivent pas à dormir), la conclusion, par son humanité, vous emporte dans un flot d'émotions contradictoires. Pas étonnant que le public du Festival d'Angoulême ait décerné son prix au film, et le Jury récompensé ses deux actrices.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur