LE PÈRE DE NAFI
La dure lutte d'influence contre le péril islamiste
Tierno est un imam modéré dans une petite ville au nord du Sénégal. Il s’oppose à son frère Ousmane, qui se radicalise et prépare le terrain pour la venue d’un cheikh islamiste depuis la Mauritanie voisine. Les luttes d’influence sont de plus en plus pesantes et le péril extrémiste gagne du terrain…
La première séquence, qui nous présente l’imam Tierno sous l’angle de ses problèmes de santé, donne le ton : symbole de bonté et de modération, ce personnage est affaibli dès le début et il aura bien du mal à lutter contre les manipulations sectaires d’autres personnages que rien ne semblera arrêter. Progressivement, le Sénégalais Mamadou Dia, qui signe son premier long métrage (primé à Locarno en 2019 puis dans plusieurs autres festivals), installe l’opposition entre modernité et tradition, sans verser dans une dichotomie trop caricaturale. Par exemple, Tierno, bien que pondéré, est parfois en opposition avec sa fille, Nafi, alors même qu’ils font partie du même « camp ». Ceci dit, ce père pousse sa fille à étudier et leurs différends viennent surtout de la possible union de sa fille avec son cousin, alors même que les deux jeunes sont consentants. La peur du père est en effet trop grande à cause de la rugosité de pensée du futur beau-père, Ousmane, qui a bien l’intention d’embrigader Nafi et de brider sa liberté – lorsqu’il vient discuter du mariage, il offre plusieurs cadeaux à la jeune femme, dont un voile islamique.
La lenteur du film est parfois plombante, mais il faut bien admettre qu’elle sert l’installation graduelle d’une certaine tension communautaire, à travers diverses manœuvres prosélytes en faveur d’un islam soi-disant traditionnel, qui s’accommode facilement de corruption et de violence gratuite ! Le mal s’infiltre donc insidieusement au sein de la population de cette ville, qui accepte ou subit en silence la prise de pouvoir d’islamistes bien décidés à tout contrôler.
L’hétérogénéité esthétique du film est un peu décevante, alternant entre des passages relevant plus du reportage ou du documentaire, et d’autres proposant un beau travail de composition et de lumière. On ne sait si ces variations sont volontaires, si elles sont la conséquence du passé de journaliste du réalisateur, ou si cela trahit un manque de moyens, mais c’est malheureusement un aspect déstabilisant qui peut faire sortir du film. Il en est de même pour la mise en scène, qui peut sembler tantôt naïve, tantôt maladroite, empêchant parfois de tout comprendre, alors même que d’autres séquences proposent une plus grande inventivité, comme cette répétition des ballons crevés pour matérialiser le rejet de la modernité. On s’y perd quelquefois dans les divers personnages, pas toujours bien exploités, mais l’essentiel passe quand même, notamment grâce à l’interprétation des deux acteurs principaux, Alassane Sy et Saïkou Lo, dont les personnages s’affrontent dans un duel fratricide qui tient presque de la tragédie antique.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
Le père de Nafi – FA from JHR Films on Vimeo.