LE MOINE ET LE FUSIL
Un film qui joue habilement avec nos perceptions d’occidentaux
Alors que le Roi du Bouthan vient d’abdiquer en faveur d’un processus démocratique, la petite ville d’Ura voit débarquer une femme liée au gouvernement venant surveiller l’organisation d’un élection blanche, visant à apprendre le dispositif à la population locale. Pendant ce temps, un père de famille doit faire face aux conséquences de son choix de participer à la campagne électorale de Thinlay, opposant à la famille dominante des lieux, pour laquelle Lodro apparaît à la télévision, objet qui commence à peine à rentrer dans les foyers. Mais au Monastère, le lama demande à un moine de lui trouver deux armes, afin de corriger la situation…
Dans "Le Moine et le fusil", très bonne surprise venue du Bhoutan, chaque mot comme chaque réaction a son importance, donnant une idée de ce qui préoccupe avant tout les personnages et par ricochet mesurant la distance qui sépare cette société des sociétés occidentales. En faisant se croiser les trajectoires de nombreux personnages, dans un compte à rebours de quelques jour précédant la pleine lune, jour de l’élection blanche mais aussi d’un futur acte du lama, à la manière d’un inquiétant présage, Pawo Choyning Dorji nous emmène vers de fausses pistes, que seuls nos cerveaux d’occidentaux peuvent finalement projeter.
C’est donc intelligemment que le scénario dévoile peu à peu le ressenti et le comportement des habitants (paisibles, polis, humbles, aptes au compromis...) pour mieux cerner ce que la vision de la démocratie à l’occidentale risque d’écraser en s’imposant. Car en suivant le processus en cours avec la responsable du gouvernement, et en assistant au surprenant parcours du fusil, entre propriétaire inconscient de sa valeur, Américain collectionneur et son guide local venu de la ville, et moine obéissant mais conciliant, c’est tout un monde de nuances comportementales presque oubliées qui s’offre à nous. Un monde qui contraste forcément avec ce qui captive les gens amassés au bar du coin devant une télé diffusant "Quantum of Solace" et son James Bond 007 armé fièrement d’un fusil mitrailleur.
Grâce à un casting finement composé, on s’attache très rapidement à cette femme qui craint pour sa fille, harcelée à l'école, ce moine obnubilé par sa mission, ce vieil homme honteux de ne pas tenir son précédent engagement, ou encore cette femme brièvement aperçue, s'étonnant qu'on leur apprenne « à être mal polis »... Avec un véritable sens du cadrage, offrant de somptueuses vues sur un paysage au combien dépaysant, Pawo Choyning Dorji nous offre un film qui rappelle en ces temps de démocraties occidentales tourmentées, qu'il existe d'autres manières de vivre, hors du conflit et des tensions permanentes. En cela "Le Moine et le fusil" constitue un véritable bol d'air, jouant sur les contrastes, faisant une place à la comédie, mais s'avérant porteur de messages finement amené sur l'import notamment du clientélisme et d'une certaine forme de violence, sous couvert de modernité.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur