LE DIVORCE DE MES MARRANTS
Auto-thérapie par le film
Romy, 23 ans, reprend contact avec son père, qu’elle n’a pas revu depuis le divorce de ses parents, soit 10 ans auparavant. Elle cherche à saisir ce qui a conduit le couple à se séparer, et comprendre finalement d’où elle vient et comment elle-même s’est construite, pour mieux aller de l’avant…
Que l’auteur soit connu, méconnu ou inconnu, faire un film sur son histoire familiale n’est évidemment pas une idée nouvelle. Cela peut d’ailleurs donner lieu à de très bons films, comme les récents "Leur Algérie", "Pingouin et Goéland" ou "Au dos de nos images", voire à de véritables chefs-d’œuvre tels que "Tarnation" ou "Carré 35". Encore faut-il que la démarche artistique et/ou le propos puissent résonner au-delà du cercle familial concerné. Or, c’est là que ça coince en partie dans ce "Divorce de mes marrants" un peu brouillon dans la forme (des flous, des sons inaudibles…) et régulièrement gênant dans le fond, avec ce sentiment de s’immiscer par effraction dans des secrets de famille qui ne nous regardent pas.
Romy Trajman n’est pas une célébrité mais pas une totale inconnue non plus, puisqu’elle a connu une petite popularité à 14 ans grâce au buzz d’une chanson écrite par sa mère ("Moi j’te dis LOL", dont on voit des extraits du clip dans ce documentaire). Si ce succès a été fulgurant et n’a pas engendré une carrière populaire durable, la jeune femme a depuis fait des études de cinéma et on comprend ça et là que ce film lui permet de franchir un cap personnel et artistique, avec l’envie de passer à d’autres thématiques que celles qu’elle a souvent abordées jusque-là, dont celle de la famille monoparentale.
En fait, avant "Le Divorce de mes marrants", la créativité de Romy (dont le vrai prénom est Sarah) s’est surtout faite dans le cadre de sa relation fusionnelle avec sa mère, Marielle Sade, essentiellement en développant la « marque LOL ». À l’écran, cette collaboration mère-fille n'enflamme guère, tant leurs idées, obsédées par la volonté de s’inscrire dans la « génération LOL », paraissent superficielles, puériles, voire ringardes (outre le clip déjà cité, évoquons le terme « Familol » ou leur web-série "Les Lolies", disponible sur YouTube). Ce que le documentaire ne dit pas, c’est que Marielle Sade a eu l’idée de déposer le mot « LOL » a l’INPI en 2007 et que cela a été, semble-t-il, plutôt fructueux financièrement (elle en aurait notamment tiré des bénéfices grâce au succès du film "LOL" deux ans plus tard).
Le titre même de ce documentaire est assez représentatif d’une relative lourdeur créative, mais il traduit aussi ce qu’il y a de plus intéressant dans la démarche de Romy Trajman : interroger ce qui coince derrière les apparences de légèreté, tout en affirmant le souhait de dédramatiser pour aller de l’avant. À cet égard, les respirations musicales sont les bienvenues, traduisant de façon originale les pensées et émotions de la réalisatrice-chanteuse.
Derrière le titre du film, et derrière les sourires de façade qui revendiquent une volonté de profiter de la vie ou une affirmation de liberté totale, Romy Trajman et Anaïs Straumann-Lévy, son amie et coréalisatrice, vont donc fouiller là où ça fait mal. En retrouvant son père puis en interrogeant d’autres membres de sa famille, Romy fait sa propre thérapie et celle de sa famille, en bousculant les tabous et les non-dits, essentiellement autour d’un triptyque central : psychiatrie (bipolarité, déficience mentale, inceste…), judaïsme (antisémitisme, Shoah, circoncision…) et création artistique (avec sa dimension cathartique notamment). Si le projet peut paraître impudique, voire quelque peu irritant ou nombriliste par moments, "Le Divorce de mes marrants" parvient tout de même à se faire l’écho d’interrogations universelles, particulièrement à travers une question somme toute centrale dans la démarche de Romy Trajman : comment se construire quand on porte indirectement le poids des traumatismes de ses ascendants ?
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur