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LE 13E

Un film de Ava DuVernay

Réquisitoire choc contre la « justice » américaine

Adopté en 1865, le 13e amendement de la Constitution des États-Unis a aboli l’esclavage. Mais un détail du texte a rapidement été exploité par les Blancs pour continuer à dominer les Noirs : la punition d’un crime autorise la servitude involontaire des coupables…

Sortie le 7 octobre 2016 sur Netflix

Le film s'ouvre avec une archive audio de Barack Obama présentant d’effrayantes statistiques : les États-Unis représentent 5% de la population mondiale mais 25% de la population carcérale de notre planète ! Le documentaire est ponctué d’autres chiffres choquants du même ordre, montrant à la fois la hausse vertigineuse du nombre de prisonniers dans ce pays et la façon dont la minorité afro-américaine est largement plus touchée par ce fléau.

Durant les premières minutes, "Le 13e", dont le titre fait référence à l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, explique comment s’est opéré un insidieux glissement, dès les années 1860, vers une criminalisation constante des Noirs pour préserver la domination des Blancs. La thèse de ce documentaire est donc le transfert légal du contrôle des Noirs par les Blancs en exploitant une « faille » du 13e amendement de la constitution américaine, dont le texte permet d’exploiter seulement les criminels condamnés.

Le documentaire montre par exemple comment s’est construite une image négative des Noirs, présentés comme bestiaux et dangereux, avec le rôle non négligeable du film "La Naissance d'une nation" (1915) de D. W. Griffith. Très novateur d’un point de vue formel et parfois considéré comme un chef d’œuvre des premières décennies du cinéma pour ces raisons techniques et artistiques, ce long métrage développe malheureusement un révisionnisme historique au profit des Sudistes esclavagistes, et il a donc eu un impact incroyablement toxique sur les mentalités, au point de réhabiliter le Ku Klux Klan et même de leur fournir un nouveau symbole créé pour les besoins dramaturgiques de la fiction : la croix en feu.

"Le 13e" donne ainsi un regard nouveau sur l'histoire des Afro-Américains et la manière dont la société américaine a continué d’humilier et d’exploiter cette minorité, par des moyens bien plus insidieux et hypocrites que l’esclavage. Le documentaire d’Ava DuVernay (la réalisatrice de "Selma") présente notamment la façon dont la criminalisation de la drogue a été instrumentalisée, notamment sous Nixon puis Reagan, pour diaboliser en même temps les pacifistes et les minorités (Noirs et Latinos), donc pour les mettre aux arrêts plus facilement.

Le film s'avère plus confus (et donc automatiquement moins concluant) au moment où il aborde la politique de Bill Clinton, déployant un argumentaire plus brouillon et des parallèles plus maladroits. C’est à ce moment-là que le métrage tombe dans son propre piège : vouloir faire d’une pierre, deux coups. En mélangeant la thématique de la cause des Noirs et celle des dérives du système carcéral, il donne l’impression pendant quelques (longues) minutes d’oublier le premier sujet en développant seulement le second, par exemple quand le film aborde l'ALEC, un organisme de lobbying conservateur influençant l’écriture et l’adoption de lois. Le sujet est fort scandaleux et incontestablement intéressant, mais lorsqu’il est développé, le documentaire semble oublier son point de départ.

Heureusement, "Le 13e" retrouve progressivement son équilibre et se montre d’ailleurs très convaincant dans sa dénonciation des contradictions d’un pays donnant des leçons aux autres nations en termes de respect des droits humains tout en bâtissant une véritable économie carcérale qui exploite toutes les failles démocratiques au point de mettre en place une exploitation néo-esclavagiste des prisonniers, et particulièrement les pauvres issus des minorités ! Les parallèles entre les meetings de Trump et des archives de la période ségrégationniste font particulièrement froid dans le dos. Au final, le constat est là : depuis 1865, le 13e amendement n’a finalement pas suffi et toute tentative de réforme apporte plus d’espoirs que de véritables avancées.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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