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LAS COSAS COMO SON

Une amourette atypique sur fond politique

Jérónimo n’est pas la personne la plus sympathique au monde. Antisocial et peu bavard, il loue pourtant des chambres à des étrangers, sous de nombreuses conditions. Mais lorsque la belle Sanna, tout juste débarquée de sa Norvège natale, arrive, une relation particulière s’installe entre eux. Cette rencontre va alors engendrer des conséquences auxquelles aucun des deux n’était préparé…

S’intéresser à la relation entre un jeune hirsute mutique et une femme libre et désinvolte pouvait s’avérer être une opération extrêmement délicate. En effet, s’emparer d’un tel sujet, sans tomber dans une certaine caricature, est loin d’être aisé. Pour autant, le réalisateur chilien Fernando Lavanderos Montero relève aisément ce défi. Dans une mise en scène minimaliste, avec une approche quasi-documentariste, le cinéaste nous dresse, tout d’abord, le portrait d’un personnage profondément complexe. Sous sa longue barbe, Jérónimo est un homme atypique, vivant de l’argent de la location des chambres qu’il met à la disposition d’étrangers ; lui se contente d’effectuer quelques travaux dans cette maison qu’il a héritée. Il se désintéresse complètement du reste du monde, ayant rejeté depuis longtemps tout engagement, qu’il soit politique ou sentimental. Et sa rencontre avec une belle norvégienne, son absolu opposé, va alors réveiller en lui des sensations qu’il avait enfouies depuis longtemps.

Si la romance entre ces deux protagonistes est bien l’un des thèmes du long métrage, il est loin d’être seul, car sous son habillage romantique, "Las cosas como son" dissimule un pamphlet acerbe contre un Chili attentiste, qui accepte cette société inégalitaire sans se révolter. Jérónimo devient alors l’allégorie de ce peuple, qui en se désintéressant de la politique, laisse cette société à l’abandon. Mais il est également le symbole d’une jeunesse qui se laisse endormir par la télévision, celle-ci propageant peur et méfiance à l’égard des autres et éludant les véritables problématiques (les scènes devant le petit écran sont loin d’être anecdotiques). Se focalisant uniquement sur trois personnages, le scénario permet de doter chacun d’une psychologie et d’une personnalité intelligemment travaillées, les niveaux de lecture étant multiples. La question de l’autoritarisme va ainsi, par exemple, être traitée par le comportement du personnage de Jérónimo, celui-là même qui avait amené le questionnement sur le peuple chilien.

Au milieu d’une relation amoureuse étrange et poétique, le metteur en scène inocule certaines dimensions critiques pour transporter le film sur des pentes politiques auxquelles on ne s’attendait pas. Et lorsque la réalité fait irruption dans la bulle protectrice que s’était créé l’héritier de la maisonnée, c’est par un jeu habile de relations fluctuantes que vont évoluer les personnages. Rejetant tout manichéisme, le réalisateur offre une belle histoire d’amour, improbable mais crédible, entre un chilien désabusé et une norvégienne pleine d’illusions et d’espoir, le tout sur un fond éminemment politique. Au plus près des êtres, la caméra nous plonge alors dans une ambiance particulière, tantôt chaleureuse, tantôt inquiétante. Si quelques longueurs sont à regretter, l’arrivée du jeune Milton donne un nouvel élan à l’ensemble et nous offre de magnifiques scènes. Pour son troisième métrage, Fernando Lavanderos Montero réussit un mélange des genres quasiment parfait. Las cosas siempre deberían ser así !

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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