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LANDS OF MURDERS

Un film de Christian Alvart

La fin des illusions

Le mur est tombé, l’Ouest commence à se répandre à l’Est, et ce qui était caché sous le tapis fait tache. Deux inspecteurs, deux époques, deux mondes, font équipe pour enquêter sur l’enlèvement de deux adolescentes, dans une Allemagne transie par le froid et la grève…

Lands of murders film

Une route linéaire, sur un terre-plein, traverse les marais immobiles et les méandres froids d’une rivière infiniment lente. Une voix émerge, grave, dans une mélopée inarticulée. L’espace visuel et sonore sont marqués de la même façon, l’homme y a laissé sa trace, mais cet homme n’est pas civilisé.

Cette cohérence absolue de l’image et du son, du fond et de la forme, se reproduit tout au long de ce film tenu d’une main de maître par le réalisateur Christian Alyart. Il est aussi virtuose dans des tops shots silencieux et géométriques de la nature et de grands espaces industriels, où l’individu peine à trouver sa place, que dans des scènes de dialogues et d'action très découpées, à l’intérieur d’un bar ou d’une voiture, où le corps humain construit l’espace.

Plus qu’un remake du film espagnol "La Isla Minima", ce film est une adaptation, une transposition du post franquisme espagnol à l’après-explosion du bloc de l’Est et la chute du mur en Allemagne. Le casting est fondamental pour endosser cette réalité. Trystan Pütter incarne parfaitement Patrick Stein, américanisé, modernisé, avec son bomber en nubuck, sa chemise ajustée, ses clopes américaines, son Lévis et ses baskets blanches, alors que Felix Kramer, avec sa moustache, sa veste en cuir, son ventre et sa brutalité, fait porter à Markus Bach toutes les traces de l’Allemagne de l’Est, du communiste et du totalitarisme autoritaire. Les clichés cessent d’être des clichés quand ils sont incarnés, et ces deux hommes leur donnent un corps et une réalité saisissante. Les clichés cessent également d’être des clichés quand les hommes sont habités par leurs paradoxes et mis face à leurs contradictions, leur passé et leur avenir.

L’enquête policière, si elle sert de colonne vertébrale au film, est avant tout un prétexte pour explorer les paysages et les réalités sociales de l’Allemagne de cette époque. Et c’est peut-être là le seul défaut, minimal, du film. En faisant passer l’enquête au second plan, le film perd de sa densité première. Sa force visuelle et graphique est un peu atténuée. Les plans tirent en longueur, sans pour autant s’essouffler. Si ce rythme volontairement lent, à la limite du contemplatif, sert la narration, et est parfaitement cohérent avec l’espace immobile qui est dépeint dans le film, il est difficilement conciliable avec les brusques changements de ton et de vitesse qui se produisent parfois. Le film original faisait en effet presque une demi-heure de moins.

Néanmoins, "Lands of Murders" est une très grande réussite formelle et narrative. Le film est aussi beau qu’efficace, les dialogues et le jeu des acteurs sont d’un très haut niveau, la nature et les intérieurs sont filmés avec le même amour, la même minutie. Le choix de tous les rôles, même les plus petits, a été fait avec soin. "Lands of Murders" est un film froid, dans cet été qui s’annonce très chaud, qu’il faut aller voir en salle. Et c’est un film qui ne peut être réduit à l’étiquette, « Thriller de l’été », derrière laquelle il est caché et qu’il dépasse de toutes parts.

Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur

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