LAISSEZ-MOI
Un premier film retenu et maîtrisé
Claudine ne déroge que rarement à ses habitudes. Chaque semaine, elle se rend dans un hôtel de montagne pour fréquenter des hommes de passage. Mais une rencontre va venir bouleverser ses certitudes…
Un train au cœur de la montagne. Une femme à la fenêtre. Elle pourrait profiter de ces paysages pour les vacances. Mais quelque chose nous dit que ce n’est pas le cas, peut-être ces notes de piano mélancoliques qui bercent son trajet. Nous ne nous étions pas trompés. Claudine se rend tous les mardis dans un hôtel pour y appliquer le même rituel : questionner le réceptionniste pour savoir quels sont les hommes célibataires, privilégiant ceux sur le départ, s’asseoir seule à une table, attendre, s’approcher de sa proie, minauder avec élégance, mesurer chacun de ses mots, rire un peu mais pas trop, puis monter dans la chambre. Mais à l’image de ce film, les apparences ne sont pas aussi évidentes qu’on pourrait le croire. Plus qu’une aventure, ce sont des histoires à raconter qu’elle vient chercher.
Romance pudique et subtile, "Laissez-moi" est avant tout une déclaration d’amour à la prestance de Jeanne Balibar. Chacun de ses gestes et regards est sublimé par une caméra qui l’enveloppe affectueusement, nous offrant à nu tous les paradoxes et les contrastes d’un personnage ambivalent. Car s’il serait bien commode de juger rapidement cette protagoniste, le récit est en réalité celui d’une dualité permanente, celle d’une femme qui affirme sauvagement sa liberté et son droit à mener sa vie comme elle l’entend, tout en étant contrainte par un rôle de mère, devenu la cause ou le prétexte pour se terrer dans une carapace impénétrable.
L’arrivée de Michael, un homme de passage dans le cadre d’une mission professionnelle, va venir fissurer cette muraille et bouleverser les certitudes de Claudine. Peut-être que s’abandonner plus d’une nuit à un homme peut lui permettre de rêver à nouveau, elle qui dédie son quotidien à son fils. Dans cette auberge où la fumée des cigarettes noircit les murs, c’est bien la lumière après laquelle court cette quinquagénaire trop longtemps convaincue que ses sacrifices n’avaient pas d’importance. Bouleversant par sa sobriété, ce premier long métrage de Maxime Rappaz, sélectionné à l’ACID Cannes 2023, réussit parfaitement à susciter l’émotion sans jamais chercher à nous tirer les larmes. Et c’est probablement pour cette raison, et grâce au talent vertigineux de Jeanne Balibar, que le film parvient précisément à titiller nos glandes lacrymales.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur