LAÏCITÉ INCH'ALLAH !
Ni Allah ni maître !
Été 2010, la réalisatrice franco-tunisienne Nadia El Fani obtient une autorisation officielle délivrée par l’administration de Ben Ali pour réaliser un reportage sur le ramadan. Son intention est en fait tout autre, elle veut interroger la société tunisienne sur la liberté de conscience et son rapport à la religion. La révolution de Jasmin arrivant, elle retourne en Tunisie pour savoir comment cette formidable envie de changement va influer sur le rapport religion/État et sur la vie sociale du pays. Plein d’humour et de provocation ce film pose des questions d’une actualité brûlante…
Le ramadan vient de commencer. Cet après-midi d’août les cafés, si fréquentés peu de temps avant, sont fermés. Tous, non ? Malgré les terrasses rangées et les bâches couvrant les baies vitrées, des hommes entrent et sortent d’un café le plus discrètement possible. Nadia, goguenarde devant ce ballet, dit que ça lui rappelle les sex-shops parisiens où les hommes ont l’air d’entrer et sortir comme s’ils ne l’avaient pas fait exprès. Sans hésiter, elle entre et filme au grand dam des « dé-jeuneurs » qui sont en train de se rafraîchir en toute discrétion… Car Nadia El Fani refuse cette hypocrisie ambiante qui oblige les non pratiquants (ou non religieux) à se cacher pour boire ou manger. Elle a envie d’une société où la liberté de conscience et la religion existent à part égale. Au fil du documentaire, elle va questionner quidams et amis sur leur vision de cette société encore sous la poigne du clan Ben Ali et montrer que la dictature était en fait un bien piètre rempart contre l’islamisme.
« La dictature est un régime parfait, moi je veux une démocratie boiteuse ! », dit un manifestant. Un grand vent de changement parcourt le pays et charrie une puissante ambiance de liesse, de joie et d’espoir : la révolution de Jasmin est en cours. Parmi eux, un mouvement laïc plutôt composé d’artistes et d’intellectuels qui espèrent la suppression de l’article 1 de la constitution déclarant l’Islam religion de la Tunisie. Dans cette ambiance de « tout est devenu possible » le petit groupe y croit et milite pour la laïcité malgré la puissance montante du mouvement Islamique tunisien « Ennahdha ». Les débats publics sont animés et montrent à quel point différentes couches sociales peuvent ne pas se comprendre : « la laïcité ça veut dire qu’on va raser toutes les mosquées ? », demande une intervenante…
On a reproché à ce documentaire de ne présenter que la vision d’une classe sociale aisée et cultivée et beaucoup moins celle des tunisiens ordinaires. C’est en partie vrai et c’est précisément un des intérêts de ce film, car il est révélateur de la sociologie du pays : il suffit de regarder le résultat des récentes élections tunisiennes pour le comprendre. On peut regretter que le film ne se poursuive pas jusqu’aux résultats de ces élections, sans toutefois en tenir rigueur à Nadia El Fani quand on apprend qu’elle ne retourne pas en Tunisie parce qu’elle est poursuivie en justice pour apostasie suite à la diffusion de son film avant l’été 2011 (sans parler des nombreuses menaces de mort dont elle fait l’objet…).
Malgré quelques passages inégaux et une fin un peu brutale, ce documentaire est passionnant pour ce qu’il révèle, pour les questions qu’il ne manque pas de poser sur la laïcité et qui sont toujours d’actualité, même en France malgré une loi vieille de plus d’un siècle. Nadia El Fani a fait preuve de beaucoup de courage en s’attaquant à cette question, sans mâcher ses mots ni ses images, quitte à tomber dans un affrontement brutal qui peut secouer la société tunisienne mais dont on doute qu’il ouvre un débat constructif car nombre de musulmans le vivent comme une déclaration de guerre à la religion.
Benoît MichouEnvoyer un message au rédacteur