LA (TRÈS) GRANDE ÉVASION
Un humour bien trempé pour aborder l’un des scandales du siècle
Évasion ou optimisation fiscale, les multinationales semblent redoubler d’inventivité, grâce à leurs conseillers, pour échapper à l’impôt. Et cela se fait au détriment du fonctionnement de la société, où tous sont censés pouvoir vivre. Mais les inégalités croissantes mettent également à mal ce fonctionnement, les politiques se contentant de belles promesses de la part des paradis fiscaux et des grands patrons, sans en contrôler les actions…
Présenté dans la section Jeunes Regards du Festival de Sarlat, "La (Très) Grande Evasion" s'ouvre sur la crise du milieu hospitalier, mise en évidence par la pandémie de Covid 19, et par la mise en avant de cette phrase d'Emmanuel Macron : « il n'y a pas d'argent magique ». Un argent pourtant trouvé pour soutenir l'économie durant cet épisode sanitaire et aujourd'hui pour gérer la crise énergétique, et un message qu'ont tendance à servir bon nombre de dirigeants politiques pro-capitalisme (un discours en Grande Bretagne y faisant notamment écho...). Enchaînant sur un zapping à reculons, c'est le discours identique des politiques sur une dette qu'il faut réduire, qui est inlassablement répété, ceci depuis 1976. Le sourire nous vient alors aux lèvres, alors que l'ironie s'affiche en étendard d'un film, qui sur le fond aurait plutôt tendance à donner envie de pleurer... ou de se révolter.
La démarche de Yannick Kergoat, remarqué comme réalisateur en 2012 avec le brulôt "Les Nouveaux chiens de garde" (sur la concentration des médias dans les mains de groupes industriels ou financiers remettant naturellement en cause leur indépendance), à la fois pédagogique et dénonciatrice, fonctionne à merveille. À partir de l’accumulation de scandales des Subprimes (Panama Papers, affaire Cahuzac, LuxLeaks, Pandora Papers...), il déroule tout un raisonnement qui met en cause l'attitude des multinationales, le caractère intouchable des cabinets juridiques fiscalistes (jamais mis en cause), mais surtout l'hypocrisie des politiques dans leur supposée lutte contre les paradis fiscaux et une optimisation fiscale devenue évasion fiscale systémique. Quand de cocasses petites animations permettent de comprendre divers mécanismes (prétendument complexes, car cela en arrange certains), la conclusion quant à elle fustige, dans un élan certes peu optimiste, des promesses d’États voyou jamais tenues et le fait que les hommes politiques « au lieu d'être la solution, sont devenus le problème ». Un documentaire aussi flippant que drôle, dont on ressort avec un sentiment de nécessaire changement chevillé au corps.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur