LA PREMIÈRE MARCHE
La fierté partout !
En 2019, quatre étudiants organisent, en Seine-Saint-Denis, la première « marche des fiertés des banlieues ». Un pari qui n’était pas gagné d’avance…
Face aux difficultés réelles des banlieues et aux stéréotypes que véhiculent les discours politiques, les médias ou les réseaux sociaux, les initiatives artistiques ou sociales se multiplient pour rehausser l’image de ces villes et quartiers. Ces dernières années, des documentaires comme "À voix haute", "Nous, le peuple" ou "Douce France" ont relayé certains exemples d’actions qui tentent de redorer la dignité de ces territoires et de leurs habitants, quand d’autres comme "Swagger" nous ont proposé un autre regard, parfois inattendu, et que, en parallèle, des cinéastes issu-e-s des banlieues ont aussi renouvelé la fiction avec des films comme "Divines" ou "Les Misérables".
"La Première Marche" s’inscrit dans cette lignée de valorisation des banlieues, mais il est à la croisée des chemins, car il s’intègre aussi dans les efforts de normalisation de la place des personnes LGBT+ dans la société française, et donc dans la lignée des nombreux films (documentaires ou fictions) qui se donnent comme mission de lutter contre les LGBT-phobies (citons a minima l’essentiel "La Sociologue et l’Ourson"). C’est donc une démarche intersectionnelle qui guide les quatre jeunes gens que ce documentaire suit dans leur volonté de mettre sur pied la première « marche des fiertés des banlieues ».
On pourra regretter la qualité trop variable – et parfois assez médiocre – de la mise en scène, des prises de vue/son ou du montage de ce documentaire un peu désordonné, mais il serait stérile de s’appesantir trop longtemps sur ces aspects technico-artistiques, car l’essentiel est ailleurs, dans sa noble cause et dans les aspirations de ses protagonistes.
Même si le documentaire hésite entre deux explorations de son sujet (montrer concrètement comment cette marche a été élaborée et organisée, ou faire le portrait plus intime de ses initiateurs ?), il est porté par le combat enthousiaste et plein d’espoir de ces jeunes qui veulent faire voler en éclats les barrières de la haine et de l’ignorance. Personnages hauts en couleur ou plus réservés, ils ont en commun une fougue qui les emporte dans une insouciance positive et constructrice. Ils ne sont pas avares d’explications ou d’anecdotes toutes intéressantes, bien qu’ils se laissent parfois emporter dans des monologues qui flirtent avec l’indigestion dans un mélange vertigineux de concepts sociologico-politiques, de références culturelles et d’expressions argotiques. On passe souvent du coq à l’âne, mais c’est à ce prix aussi que le documentaire conserve une sorte de fraîche authenticité.
Mais la principale force du film tient dans le contraste entre, d’une part, un apparent amateurisme désorganisé qui semble conduire tout droit à l’échec d’une initiative peut-être trop ambitieuse (on est parfois triste de les voir affronter l’absence d’intérêt de celles et ceux que ces jeunes rencontrent pour promouvoir leur projet), et d’autre part, la formidable mobilisation finale qui fait de cette marche un immense succès. Oui, on peut le dire quand le générique de fin se déroule : il est possible, absolument partout, de vivre ensemble dans l’acceptation de nos enrichissantes différences !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur