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LA PIETÀ

Un film de Eduardo Casanova

Œdipe selon Casanova

Un fils, Mateo, et sa mère, Libertad, vivent ensemble dans une maison aux allures de château. Leur relation fusionnelle atteint un point de rupture le jour où la santé de Mateo est en danger…

 

En cette année 2023, le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer fête ses 30 ans. Pour cette édition anniversaire présidée par Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo, le festival s'est paré d'un habit teinté de fantastique, de social et de mysticisme. C'est dans ce cadre que l'on découvre avec enthousiasme dans la programmation "La Pietà", coproduction espagnole et argentine, d'Eduardo Casanova, dont le pitch intrigue surtout quand on connaît les précédents travaux du cinéaste.

C'est avec "Skins" ("Pieles") en 2017 que le réalisateur surprend. Adapté de son court-métrage "Eat My Shit", le film mettait en scène des personnages ayant chacun des difformités insolites (imaginez être né avec un orifice à la place de la bouche par exemple…). Le film suivait ainsi plusieurs destins croisés où l'on voyait les protagonistes se débattre avec leurs « particularités physiques » pour finalement délivrer un message sur la tolérance, l'acceptation de soi et le diktat de nos sociétés sur la question du « beau ». En un film, Eduardo Casanova a créé un univers qui lui est propre, avec sa propre mythologie et identité visuelle : des cadrages picturaux, des tons entre mauve et rose, et un humour noir déstabilisant.

Pour peu qu’on ait eu la chance de tomber sur son précédent, "La Pietà" paraît une suite logique, autant sur le plan formel avec ses décors aux couleurs de bonbons acidulés que sur les thématiques. On peut même déceler un clin d’œil sur un paquet de céréales où un personnage de "Pieles" apparaît. Ici il est question d’une relation toxique entre une mère et son fils. Libertad est une mère célibataire qui n’accepte pas de couper le cordon, littéralement. Mateo quant à lui cherche petit à petit à s’émanciper et franchir la frontière symbolique de la porte d’entrée. Là où certaines productions tombent facilement dans le pathos ou dans la maladresse de propos tout en souffrant d’un sentiment douloureux de déjà-vu, "La Pietà" a pour lui la singularité de son auteur.

Autant esthétiquement avec sa direction artistique criarde, ses cadrages audacieux et composés que l’aisance avec laquelle Eduardo Casanova change régulièrement le ton de son œuvre : déstabilisant et angoissant lorsque le film nous assène de vision cauchemardesque sur l’Œdipe, humoristique lors des échanges entre les personnages notamment les séquences de repas ou chez le médecin, et émotionnel, l’implication des acteurs y étant pour beaucoup, ainsi que l’évolution des personnages. Jongler avec les genres n’étant pas une mince affaire, on sent cependant le réalisateur à l’aise en créant un tout homogène. On assiste alors à un délicieux mélange de music-hall, drame familial et de « body-horror » à la David Cronenberg.

Mais cet équilibre est sans cesse menacé par une sous-intrigue optionnelle se déroulant en Corée du Nord. L’idée au départ est intéressante : la télévision du salon ne passe que des informations concernant la dictature et la situation du pays, Libertad mettant ainsi en place un lavage de cerveau pour maintenir l’angoisse de Mateo vis-à-vis du monde extérieur. Là où le bât blesse c’est lorsque le film décide de délocaliser son action en Corée et se concentrer sur une situation familiale mise à mal par le régime. Hormis une séquence d’une violence assez crue et une compréhension de la direction artistique du film avec ces décors trop beaux pour être vrai (comme les faux villages des dictatures), ce pan de l’histoire n’est là que pour renforcer le parallèle entre Libertad et le régime totalitaire qu’elle impose à son fils. Elle est alors montrée en tyran et Mateo en victime (même si le film nuance ce dernier point). Malheureusement entre la durée de ces séquences et leur manque de substance, c’est le rythme du film qui en pâtit ainsi que sa force évocatrice.

Là où une vision dérangeante à la limite du grotesque, comme celle de l’accouchement, prend son sens autant dans la variété de tons avec laquelle elle est traitée que dans les gros sabots utilisés pour faire passer son message, ce genre de parallèles supplémentaires alourdissent le propos d’avantage. Ceci d’autant plus que le cinéaste n’est pas connu pour sa subtilité : vomissement entre la mère et son fils, uriner sur la caméra, effets de prothèse et scènes chocs... On a donc droit à un film qui ne ménage pas son public et c’est toujours à souligner. Les amateurs d’OVNI cinématographiques trouveront un certain plaisir à déguster cette friandise bariolée mais cela nous attriste de constater qu’Edouardo Casanova ait décidé de nous prendre un peu trop par la main pour qu’on ne loupe pas ce qu’il avait à nous dire.

Un manque de confiance paradoxal dans le médium vu la maîtrise formelle et évocatrice de certaines scènes. Il partage alors les mêmes faiblesses que son prédécesseur : une histoire à la narration simple et efficace mais aux enjeux surlignés à une puissance telle qu’on a toujours un peu l’impression d’avoir de nouveau 8 ans et de regarder un épisode de "Franklin, la tortue" qui savait compter deux par deux. On distingue une ambition à la hausse clairement affichée (budget, décors, effets) ce qui n’empêche pas de répéter des erreurs et un coup de caméra trop gras. On aimerait être plus actif en tant que spectateur face au pouvoir évocateur autant de l’histoire que des plans qui nous sont servis.

De plus, il simplifie le propos en insistant encore plus dans sa scène finale [ATTENTION : Spoiler] où après avoir appris aux informations que le dictateur était mort, on est de nouveau transporté à l’enterrement national où Libertad a pris la place du tyran dans son cercueil. Pourtant le film apporte des pistes assez intéressantes sur l’ambiguïté de la responsabilité de Mateo dans cette relation. Au départ passif, victime, au fur et à mesure que l’intrigue se déroule (notamment avec sa belle-mère), on constate que Mateo est un homme-enfant dont la position lui convient et qu’il profite d’un changement de foyer à la fin pour répéter le cycle de cet amour inconditionnel parent-enfant qui lui donnera toujours la place qu’il a toujours voulue : être l’unique amour.

On retiendra donc l’ambiance déconcertante de "La Pietà", à la fois grinçante et drôle, et son duo d’acteurs (superbe Angela Molina) qui nous permettent de rester jusqu’à la fin. On espère retrouver Eduardo Casanova plus confiant dans le procédé cinéma qui consiste parfois à ne pas toujours montrer et à continuer d’explorer cet univers qui n’est qu’à lui, rempli d’inadaptés, de « freaks », dont les destins nous sont renvoyés en miroir.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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