LA PETITE
Le dernier lien
Joseph, 68 ans, travaille toujours le bois dans son atelier. Apprenant le décès de son fils et de son conjoint dans un accident d’avion, il ne va avoir de cesse, contre l’avis de sa fille, de retrouver la mère porteuse qu’ils avaient engagée afin d’avoir un enfant. Il se rend alors en Belgique, à Gand, ville où elle est censée travailler chez un loueur ou réparateur de vélos, même s’il ignore lequel…
Film d’ouverture du Festival d’Angoulême 2023, "La Petite" est un drame subtil qui met en évidence tout le talent d’acteur d’un Fabrice Luchini ici tout en nuances. Sign » Guillaume Nicloux, à qui l’on doit quelques portraits saisissants ayant donné quelques grands rôles (pour Thierry Lhermitte et Josiane Balasko dans les films policiers "Une Affaire privée" et "Cette femme-là", comme pour le duo Huppert - Depardieu dans le drame "Valley Of Love"), s’intéresse ici à un homme en deuil, tentant de saisir le dernier lien avec ce fils qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Le film s’ouvre sur un lent travelling avant sur la propriété de l’homme en question, un téléphone sonnant avec insistance, avant que l’on ne le découvre dans son atelier, travaillant le bois. Quelques notes de pianos mélancoliques envoient comme le présage du drame qui va soudain l’ensevelir, figeant son visage plein d’incompréhension alors que l’on lui annonce une nouvelle inaudible, pour lui comme pour le spectateur.
Et nous voilà projetés le plan suivant en voiture, avec sa fille en pleurs, puis dans un centre où il croise les parents de son beau-fils, avant qu’un mouvement giratoire de caméra autour de lui ne nous signifie son vertige. Le temps vient alors de reprendre ses esprits, lors d’une discussion avec quelqu’un chargé d’accueillir les familles des disparus, l’homme ne pouvant s’empêcher de penser à l’avenir, la naissance de l’enfant de ce couple d’hommes, grâce à une mère porteuse belge. Une piste pour retrouver un lien avec son fils, dans laquelle il va s’engager tête baissée, malgré les réprimandes de sa fille et l’aspect fermé des beaux parents. En construisant son scénario, adapté avec l’autrice du roman Le Berceau, Fanny Chesnel, sur l’opposition entre deux familles aux approches du deuil diamétralement opposées (le judiciaire d’un côté, la recherche du lien de l’autre) et entre personnages aux nécessités totalement divergentes (une belle famille aisée, un père en difficulté qui donne le change, une jeune femme privée faute d’argent d’un avenir qu’elle espérait plus radieux...), Guillaume Nicloux évite tout jugement et parvient à construire des personnages à la fois touchants et particulièrement humains.
Sans jamais verser dans le drame facile, il ajoute même quelques touches d’humour souvent tendre (les manières du père de parler à sa femme décédée, la recherche du lieu où travaille Rita la mère porteuse…), faisant ponctuellement appel au don particulier de son acteur principal (les tentatives pour baragouiner en anglais, le rap improvisé…). Avec quelques jolies scènes (notamment celle les pieds dans l’eau…) c’est à un rapprochement délicat, qui trace le chemin du deuil, qu’il nous invite, sans pour autant éviter les débats sur la GPA, qui pointent leur nez dans quelques dialogues (« je ne suis qu’une mule ») ou dans le mépris du beau père pour la « location d’utérus ». Reste que les nombreux hasards que semblent réserver le destin (le père et ses problèmes de cervicales alors que sa fille est kiné ou ostéopathe, la mise aux enchères d’un berceau, une virée pour aller voir les cigognes…), les thématiques de la naissance, de la filiation, des liens qu’on maintient ou entretient dans le temps, et du soin qu’on donne à ses proches, traversent le film avec une évidence rare. Une évidence aussi frappante que le talent de Mara Taquin (déjà apparue dans "La Syndicaliste" et "Rien à foutre"), véritable révélation du film.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur