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LA MULE

Un film de Clint Eastwood

Le (nouveau) testament de Clint Eastwood

Avec huit décennies bien entamées, Earl Stone se retrouve au crépuscule de sa vie. Seul, fauché et menacé d’une saisie imminente de sa pépinière, il accepte un boulot de chauffeur où il lui est demandé de ne jamais ouvrir le colis à transporter. Mais un jour, sa curiosité lui révèle la vérité : il s’est engagé sans le savoir à faire la « mule » pour un cartel mexicain qui cherche à écouler sa drogue. Un trafic que deux agents du FBI coriaces et déterminés cherchent à démanteler…

Soyons aussi direct que possible : on avait un peu raison de se montrer craintif à propos de "La Mule". Non pas au regard du talent de cinéaste de Clint Eastwood (toujours aussi intact en dépit d’un précédent film qui aura hérité du bonnet d’âne dans sa filmo), non pas au regard d’une intrigue que l’on imaginait aussi riche et humaniste que ses précédents travaux, mais bel et bien en raison du retour de Clint devant la caméra, près de dix ans après le magistral "Gran Torino". Il est désormais admis que Clint aura su prendre son âge en considération dans le polissage de ses derniers rôles, quitte à nous donner parfois l’impression qu’il y faisait son bilan de santé. Mais "Gran Torino" faisait figure de point final absolument parfait : Clint s’y révélait dans toute sa puissance iconique, synthétisait toutes les sensibilités de son parcours artistique en un seul et même personnage, et finissait le film littéralement dans un cercueil, dessinant de ce fait les contours d’un opus testamentaire qui serait son hypothétique dernier rôle au cinéma. Le retrouver dans le rôle principal de "La Mule" allait donc briser cette émouvante logique en mille morceaux et nous contraindre à lire exclusivement ce nouveau film sur l’angle du testament cinématographique – encore un ! Une lecture-piège dans lequel on tombe fissa et dont il est hélas impossible de sortir.

Sur la démonstration de son talent de cinéaste, le grand Clint ne prouve rien que l’on ne savait déjà : son humanisme déchirant crève encore le plafond, la pureté hawksienne de sa mise en scène ne souffre d’aucun bout de gras, sa direction d’acteur s’avère idyllique (mention spéciale à Dianne Wiest) et son ambiguïté légendaire se déniche ici et là au travers de quelques sous-éléments narratifs ou lignes de dialogues furtives. Sur son jeu d’acteur, en revanche, difficile de déceler en quoi le parcours de ce botaniste solitaire, contraint à effectuer la « mule » pour des trafiquants de drogue et conspué par un cercle familial qui lui renvoie son isolement en pleine gueule, tisserait les contours d’un regard apaisé et terminal sur sa vie et son parcours. On a beau retrouver parfois cette tonalité apaisée et solaire qui faisait toute la beauté d’un film comme "Honkytonk Man", le regard posé par Eastwood sur le rapport au sacrifice et à la cellule familiale est ici moins décelable par le contenu potentiellement intime de l’histoire que par les choix « extérieurs » de création. Par exemple, le fait que Clint demande à sa propre fille Alison de jouer ici une « descendance rancunière » ne s’incarne jamais ici en point de vue intime sur quelque chose en lien avec son propre parcours d’artiste. On a davantage l’impression d’un petit film fait avec sincérité et humanité, mais très loin de tout ce que "Gran Torino" pouvait dégager de richesse et de pistes thématiques sur l’individu Clint et le citoyen Eastwood.

On ressent hélas aussi la même chose vis-à-vis du scénario. Handicapé par une intrigue policière – construite en parallèle – qui donne l’impression d’un tout autre film centré sur Bradley Cooper, le récit se contente de suivre deux lignes narratives qui ne s’interpellent que très lointainement (hormis le temps d’une jolie discussion entre les deux hommes dans un restaurant) et va même jusqu’à bâcler son climax final dans une double scène trop expédiée. Dire que l’on se désintéresse un peu de la trame policière est un euphémisme, et dire que seul le parcours de ce brave vieillard marqué par la vie et les mauvais hasards peut être ici vecteur d’émotions fortes l’est encore plus. Il n’y en a donc ici que pour Clint : tendre, touchant, parfois hilarant dans le sarcasme badass, toujours à fond dans la maîtrise de soi (y compris quand la tension grimpe soudainement), mais qui, ici, à force de jouer moins avec son image qu’avec son seul âge, frappe moins fort qu’avant. Au moins, la joie de pouvoir revoir encore et encore sa magnifique gueule – devenue un paysage à part entière – suffit amplement à faire de "La Mule" un film hautement recommandable.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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