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LA MAISON

Un film de Anissa Bonnefont

Les zones grises du désir

Pour écrire son nouveau livre, Emma décide de se faire engager comme prostituée dans une maison close à Berlin. Mais est-ce là sa véritable motivation à pénétrer cet univers risqué et interdit ?

La Maison film movie

Dans le synopsis ci-dessus, on a fait exprès de mettre en avant une interrogation précise, et ce parce qu’elle est placée en exergue du récit. Ce qui est une façon pas forcément très fine de nous faire comprendre que la quête de matière pour l’écriture d’un livre est surtout l’arbre qui cache la forêt. C’est le gros point négatif que l’on a envie de souligner dans le travail d’écriture d’Anissa Bonnefont : en choisissant d’adapter le livre éponyme d’Emma Becker (qui y racontait sa propre expérience de prostituée dans la capitale allemande), la jeune réalisatrice aura surtout manqué de trouble pour s’en tenir à un récit très programmatique, pour ne pas dire cousu de fil blanc, où le supposé trouble progressivement ressenti par l’héroïne s’impose d’entrée comme le signe d’une fuite en avant vers les zones grises du désir. Si on choisit de laisser de côté cet écueil purement scénaristique, "La Maison" s’impose comme un acte de funambule très maîtrisé, surtout au vu d’un matériau d’origine que sa très grande crudité avait tôt fait de rendre inadaptable aux yeux de beaucoup.

Ceux qui espèrent un point de vue orienté sur la question de la prostitution peuvent d’ores et déjà éviter de gaspiller leurs dix euros : le film n’honorera pas leur attente, préférant s’en tenir à un regard objectif et détaché, au fil d’une ligne narrative qui ouvre bien grand le champ des désirs interdits. À noter d’ailleurs que le film, malgré un sujet pareil, réussit l’exploit de ne jamais sombrer dans le glauque ou le malsain (à l’exception de deux courtes scènes qui installent les premiers signes d’une ambiance violente). C’est qu’au fond, Anissa Bonnefont célèbre ici le pouvoir de la femme qui, après avoir sondé le champ d’action de ses propres désirs, le maîtrise suffisamment pour amplifier son pouvoir et son magnétisme vis-à-vis de l’Autre – c’est ici la prostituée qui « domine » le client et non l’inverse. Féministe et subversif à la fois, le film doit surtout toute sa force à la performance bluffante d’Ana Girardot. Depuis la sortie de "Simon Werner a disparu…" il y a douze ans, on savait la jeune actrice très performante dans l’ambiguïté sourde et l’opacité sentimentale, mais la voir ici opérer l’une des mises à nu physiques et psychologiques les plus dingues du cinéma hexagonal a de quoi laisser bouche bée. Elle ose tout, prend tous les risques, se dévoile comme peu d’actrices ont su le faire, et en fin de compte, s’impose comme la reine de "La Maison".

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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