LA HIJA DE TODAS LAS RABIAS
Vers une autonomie forcée
Au Nicaragua, Maria, 11 ans, vit avec sa mère Lilibeth dans une maison de fortune en bord de lac et aux abords d’une immense décharge à ciel ouvert. Élevant cinq chiots de races, de leur chienne Juana, déjà payés par un voyou local, Lilibeth a formellement interdit à Maria de les nourrir avec de la viande trouvée dans la décharge. Mais un soir, alors que sa mère est partie vendre des matériaux de récupération, comme elle tarde à rentrer, Maria enfreint cette règle…
La première scène de "La Hija de todas las rabias" est particulièrement marquante et donne le cadre d'une misère omniprésente. Une ambulance arrive sur une immense décharge à ciel ouvert, jetant des sacs au milieu de décombres, avant de repartir. Sortent alors de nombreuses personnes dont des enfants, comme cachés au milieu des déchets, certains jouant avec les morceaux de corps qui se trouvaient dans les sacs. Parmi eux, Maria, jeune fille de 11 ans, qui sera l'héroïne du film, et qui ramène l'un des sacs dans la maison de fortune dans laquelle elle vit avec sa mère, Lilibeth. Point de départ du film, la décharge de Chureca, où depuis 1971, 90% de déchets de la capitale du Nicaragua, Managua, sont jetés, crée un contraste lugubre avec les beaux paysages de rivages du lac Xolotlá.
La sensation de chaleur qui se dégage de la photographie du film, mais aussi de la complicité entre Maria et sa mère, ou de celle avec Tadeo, un garçon qu'elle rencontrera dans un atelier de recyclage, tranche aussi avec la dureté du contexte économique qui va séparer mère et fille. Des tensions avec un voyou local (n'apparaissant qu'au bout de 30 minutes de film), aux informations distillées par la télévision (une nouvelle loi sur la gestion des déchets - dont vivent Maria et sa mère, mais aussi nombre de gens autour de la décharge -, des émeutes et des violences en ville...), l'écosystème de précarité est décrit dans un réalisme qui évite tout misérabilisme, le film adoptant le point de vue des enfants, devant certes travailler, mais trouvant encore de l'espace pour le jeu ou les rêves.
Les quelques rêves de Maria (une maison enfumée, la rencontre d'une femme-chat dans la forêt...) constituent d'ailleurs une belle trouvaille pour l'évolution du personnage principal et sa capacité à avancer vers un apaisement de sa colère, malgré l'éloignement de sa mère et de sa chienne. Porté par une jeune actrice prometteuse, qui remplaça celle qui avait trop grandi, le tournage ayant été retardé du fait du Covid, "La Hija de todas las rabias" est un film qui navigue joliment entre dure réalité et onirisme, afin de mieux décrire une situation d'urgence et le sentiment de danger qui traverse un pays, et n'épargne nullement des enfants, qui pour certains doivent grandir et devenir autonomes, sans doute trop vite.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur