LA FRACTURE
La Bourge, le prolo et la fracture sociale
À Paris, c’est le grand jour de la mobilisation des gilets jaunes contre les mesures du gouvernement Macron. Manifestant pacifiquement devant les forces de l’ordre, la tension s’échauffe d’un coup et Yann est victime, à la jambe, d’une grenade de désencerclement. Emmené à l’hôpital, il se retrouve avec Raf, une mère de famille blessée au coude après être tombée dans la rue en poursuivant sa femme…
C'est à la manière d'une fable que Catherine Corsini traite le sujet de son nouveau film : "La Fracture". Avec trois personnages principaux : la bourgeoise parisienne (jouée par la très inspirée Valeria Bruni-Tedeschi), le chauffeur routier de province (Pio Marmaï en pleine forme) et l’infirmière des hôpitaux de Paris (Aïssatou Diallo Sagna, vraie soignante qui débute avec force sur les plateaux de cinéma). Les deux premiers sont toujours en désaccord, n’arrivant jamais à se comprendre et restant fermement ancrés sur leurs positions. Autrement dit la fracture, en plus d’être celle d’un coude ou d’une jambe, est aussi plus profonde encore, comme le dénonce la réalisatrice de "Partir" et "La Belle saison", elle est sociale. La France n’a jamais été autant scindée en deux, constate Catherine Corsini. Et l’écart entre les uns et les autres se creuse année après année. Les riches d’un côté et les pauvres de l’autre. Les vaccinés d’un côté, les antivax de l’autre…
Qu’est-ce que c’est que cette société coupée en deux qui n’arrive plus à faire front commun contre nos institutions qui ont creusé ce fossé et ne font surtout rien pour le reboucher ? Faisant au passage des victimes collatérales qui ne sont pas celles que l’on croit, puisqu’il s’agit des soignants eux-mêmes, ironiquement censés s’occuper d’abord des victimes. Corsini dissèque le travail des hospitaliers, spectateurs de cette fracture, jamais acteurs pour dénoncer leurs propres piètres conditions, car happés à cause d’un manque de moyens et de personnels dans une spirale du travail, des gilets jaunes perforés par des balles en caoutchouc (qu’ils sont mêmes censés dénoncer) aux malades de la Covid-19 pour faire écho à l’actualité (qu’ils ne pourront peut-être bientôt plus soigner s’ils n’ont pas leur passe-sanitaire).
Catherine Corsini les rassemble donc en ce lieu hautement sanctuarisé non pas pour créer un face-à-face mais pour les mettre en face-à-face et ouvrir le dialogue. D’où les excellentes scènes entre la bourge et le routier, entre le routier et le CRS (il y a un homme qui se cache derrière son casque) et entre le routier aidé de la bourgeoise face à un déséquilibré qui prend l’infirmière en otage. Grande métaphore de notre société qui peut s’unir face aux fous pour sauver l’hôpital public ! Ce ne sont pas nos dirigeants que la réalisatrice interpelle dans "La Fracture" mais le peuple pour qu’il ouvre les yeux et emprunte à la Belgique sa devise « l’union fait la force », alors que dans notre pays, c’est un autre son de cloche qui semble résonner, celui du « diviser pour mieux régner ».
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur