LA FILLE DE SON PÈRE
Refermer les blessures du passé
A 20 ans, Étienne a fait la connaissance d’une jeune femme militante, Valérie. Revue lors d’une manif, il a eu une liaison avec elle, dont est née rapidement une fille : Rosa. Mais alors qu’ils rendent visite à ses parents, Valérie, partie chercher une place pour la voiture, ne reviendra jamais. La vie continue malgré tout, mais alors que sa fille, adolescente, est sur le point de partir du foyer pour ses études aux Beaux Arts à Metz, Étienne croit reconnaître Valérie dans un reportage de Thalassa…
"La Fille de son père", nouveau film d'Erwan Le Duc ("Perdrix"), découvert à la Semaine de la critique en mai dernier, est un film qui fait du bien. D'abord parce qu'il présente avec un certain optimisme les hauts et les bas d'une relation père fille. Ensuite parce qu'il adopte un ton à part, plutôt tourné vers une forme de comédie, pour notamment représenter le caractère emballé et protecteur du père. Insufflant ainsi une dose de fantaisie surréaliste (les 15 ados qui sortent un à un d'un van pour l’entraînement de foot, le petit copain Youssef qui ne rentre dans l'appartement que par la fenêtre...) et un réjouissant humour décalé qui fait mouche (la discussion sur la branlette...), l'auteur réussit un portrait touchant d'un duo père – fille et de son entourage.
Si la mise en scène ose l'originalité, notamment dans les variations de rythme (malgré une musique envahissante) et les cadrages (voir par exemple la séance d'entraînement, où l'on n'aperçoit que des têtes...), le film doit avant tout énormément à son casting. Nahuel Perez Biscayart, en père aussi speedé que fragile, a d'ailleurs reçu le Prix d'interprétation masculine au Festival de Sarlat, pour ce rôle. Céleste Brunnquell, vue dans "L'Origine du mal" et la série "En Thérapie", est d'un naturel confondant dans le rôle de sa fille, qui s'interroge sur l'intérêt de connaître sa mère (« depuis quand elle nous manque ? »). Et de leurs côtés, Mohammed Louridi compose un irrésistible ado lunaire, Maud Wyler une compagne compréhensive, indépendante et méfiante, et Noémie Lvovsky une mairesse odieuse (qui n’échappe pas malheureusement à la caricature dans ses excès cependant).
Mais c'est dans l'approche de la notion de « manque » que le film est une vraie réussite. Car le fantôme de cette mère, dont le duo père fille est si fier de s'être passé jusque là, ressurgit avec force, au travers d'une simple image de reportage sur un site spectaculaire du Portugal. Il est source de perturbations, faisant se morceler la carapace du père, le réalisateur allant jusqu'à représenter ce que chacun a pu vivre dans pareille situation d'abandon : croire voir ou apercevoir la personne encore désirée un peu partout, telle une trace indélébile, faute d’un dialogue lors de la rupture. Mais par sa conclusion, "La Fille de son père" affirme son inscription dans sa logique positive et libératrice, appelant à refermer, d'une manière ou d'une autre, les blessures du passé.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur