LA BRIGADE
Un prix d’interprétation amplement mérité pour Audrey Lamy
Cathy, 40 ans, est seconde chez une célèbre Chef, également jurée dans une émission de télé-réalité. Freinée dans sa créativité, elle démissionne du restaurant sur un coup de tête et se retrouve à passer un entretien d’embauche pour un « lieu de charme à la clientèle exigeante ». Des termes que le directeur des lieux explicite alors comme étant en réalité un foyer… avec comme convives des jeunes migrants sans papiers. D’abord tentée de renoncer, elle décide d’accepter ce poste de cantinière payé 1450 euros nets par mois, nourri, logé, blanchi…
"La brigade", est la nouvelle comédie sociale signée Louis-Julien Petit, auteur déjà remarqué de "Discount", traitant de l’emploi dans les supermarchés, et "Les invisibles", autour d’un centre d’accueil pour femmes SDF. S’intéressant cette fois-ci aux migrants, il va évoquer leurs situations et leurs parcours, au travers d’un scénario relevant du feel-good movie, et mettant en scène une cuisinière douée et rêvant d’avoir son propre restaurant, confrontée à des « clients » dont la seule préoccupation est avant tout de manger (ils aiment en gros « les raviolis » et le « foot »), mais qui sont cependant prêts à donner un coup de main. Se transformant ainsi en une sorte d’éducatrice culinaire, le personnage va finalement se découvrir d’autres talents (de transmission) et s’ouvrir à des êtres qu’elle ne s’attendait sans doute pas à côtoyer dans son existence.
Emmenée par une Audrey Lamy tout juste formidable, méritant amplement le prix d’interprétation féminine qu’elle a empoché lors du Festival de l’Alpe d’Huez 2022 où le film était en compétition, cette comédie d’apprentissage charrie du même coup un indispensable message de curiosité et de respect envers l’autre, et particulièrement l’étranger. A la fois dopé par une volonté de bien faire et amoureuse d’un métier complexe mais généreux, son personnage fait preuve d’une réelle évolution au fil du récit, l’actrice déployant au passage des trésors de cynisme distancié et de générosité, qu’il s’agisse d’approcher les lieux décrépis (la découverte de la cuisine, les murs qui laissent passer même les chuchotements…), ou la richesse du métier (choix des fournisseurs, techniques de découpe…).
Toujours posée en observatrice, la caméra de Louis-Julien Petit scrute, au-delà du personnage principal, l’attitude de chacun des jeunes gens présents, alors que Cathy apprend à utiliser au mieux leur bonne volonté, usant de leurs autres centres d’intérêt (comme le sport) si besoin pour les embarquer dans une véritable aventure culinaire. Plutôt malin, le scénario évite judicieusement les clichés, décrivant sans misérabilisme aucun la volonté d’acier de chacun, utilisant des concepts à la mode (les jeux de télé-réalité, culinaire comme The Cook, ou Les Ch’tis sur la banquise…) et permettant, autour de la notion de Madeleine de Proust, d’évoquer les souvenirs, trajets, mais aussi plats typiques de leurs origines, de quelques uns des migrants. Cela donne d’ailleurs une scène bouleversante, à la facture documentaire, compilation de témoignages forçant le respect et provoquant l’émotion. Dotée également de seconds rôles efficaces (François Cluzet, impeccable en directeur équilibriste du centre, Chantal Neuwirth en gouvernante, les jeunes castés dans des maisons d’accueil parisiennes). Une comédie étonnante, positive, prônant la richesse de l’échange, pour laquelle Audrey Lamy s’est même formée aux techniques dans les brigades de deux grands restaurants (l'Apicius et le Divellec) auprès des chefs Mathieu Pacaud et Christophe Villermet.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur