L'ÎLE ROUGE
Gâchis malgache
Début des années 70, sur une base de l’armée française à Madagascar. Tandis que les militaires et leurs familles vivent les dernières illusions du colonialisme, un jeune garçon cherche une échappatoire à son quotidien en s’évadant dans son imaginaire…
On l’attendait pour Cannes, il ne fut finalement pas retenu. Et maintenant qu’on l’a vu, tout s’explique. Bien qu’encore auréolé du triomphe de "120 battements par minute", le cinéaste Robin Campillo a cette fois-ci un peu trébuché sur ses ambitions de fresque à la fois historique et intime, où un contexte brûlant – celui d’une colonisation à l’agonie – se ferait l’arrière-plan symbolique de tensions à l’intérieur d’une cellule familiale, ici captées et appréhendées tant bien que mal par le regard d’un enfant – plus ou moins un alter ego de Campillo qui évoque ici ses propres souvenirs d’enfance.
Tout le souci de "L’île rouge" vient hélas de ce qui, au fond, devait constituer sa plus grande force, à savoir le goût de l’échappée onirique qui relirait le quotidien sous un angle détourné. L’audace qui apparaît par surprise dès les premières scènes est en outre une fausse bonne idée : caser des intermèdes surjoués et fantaisistes sous forme de remake des aventures de Fantômette dans un ensemble trop arrimé au plancher des vaches était certes intéressant pour créer un contrepoint, mais hélas, le décalage n’est ici qu’affaire de théorie et non de mise en pratique. À cause des choix d’écriture de Campillo et de son fidèle coscénariste Gilles Marchand, on se retrouve face à plusieurs films en un, mais sans dialogue intrinsèque qui s’installerait entre eux.
Autobiographie ? Drame familial ? Allégorie politique ? Peinture sensorielle de la fin du colonialisme ? Réinvention du réel via l'imaginaire enfantin ? On ne sait pas. Peut-être rien ou tout à la fois, si tant est que Robin Campillo ait réellement eu envie de brouiller les pistes, quitte à prendre le risque de courir un peu trop de lièvres à la fois – ce qui est hélas clairement le cas ici – et de se disperser pour rien à force de ne pas savoir relier les points. En sortie de projo, on en vient même à se persuader qu’il aurait davantage fallu le regard et le talent de Claire Denis aux commandes d’un tel projet. Pour ce qui est d’investir des territoires étrangers en y intégrant des enjeux forts et intenses, de structurer une narration qui s’appréhende autant par la lecture intuitive que par la lecture sensorielle, ou même de susciter du trouble et de l’ambiguïté au sein d’un contexte et des enjeux humains qui y prennent racine, la réalisatrice de "White Material" et du récent "Stars at noon" reste imbattable.
Des remerciements s’imposent toutefois au compositeur Arnaud Rebotini (décidément un pur génie de la musique atmosphérique !) ainsi qu’au talent des acteurs (surtout la fraîchement césarisée Nadia Tereszkiewicz qui continue de gagner en puissance) pour permettre au film de s’extraire un peu de l’épais brouillard dans lequel il s’est lui-même engouffré et où l’on peine à épouser une quelconque forme d’hypnose. Un film vu et ressenti à distance, donc, là où l’on aurait tant aimé se laisser piéger par (et à l’intérieur de) lui.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur