L'EXTRAORDINAIRE MR. ROGERS
Artificialité sincère
Forcé par sa rédaction à interviewer Mr. Rogers, le présentateur d’une émission pour enfants prônant la tolérance, le cynique journaliste Lloyd Vogel va faire une rencontre qui va profondément le remettre en question…
Sortie le 21 avril 2020 en E-Cinema et VOD, et sur Amazon Prime
Cette idée paradoxale d’artificialité sincère est au cœur du film et du personnage de Fred Roger, superbement incarné par Tom Hanks. Ne vous y trompez pas, il joue très bien, même si l’on pourrait croire dans les premières minutes du film qu’il y a quelque chose de profondément faux dans ce qui se passe devant vos yeux. Cette idée se retrouve également dans la mise en scène, qui alterne entre des décors réels et les maquettes grossières, à peine réalistes, qui composent le plateau de l’émission de Fred Rogers.
Enfin, cette idée est au cœur du personnage même de Fred Roger et c’est ce qui trouble le plus profondément Llyod Vogel. Vogel est en effet connu pour ses portraits au vitriol de grandes personnalités médiatiques, et il s’attend donc à vite faire tomber le masque de grand enfant simplet et tolérant de Mr. Rogers pour découvrir l’homme qui se cache derrière. Mais ce qu’il découvre, et qui le trouble, c’est que Mr. Rogers n’est pas un personnage ou un masque, ce n’est pas quelque chose derrière quoi Fred Rogers se cache. C'est au contraire dans ce rôle qu’il est le plus sincère et le plus lui-même.
Vogel découvre alors que sa position cynique, qu’il croyait suprêmement intelligente et courageuse, parce que réaliste, est en fait un sacerdoce bien moins lourd que la croix que porte chaque jour Fred Rogers. En choisissant la naïveté et l’innocence, en prônant réellement la tolérance et en refusant le cynisme de l’âge adulte, Fred Rogers se met dans une position bien plus complexe que ce que le journaliste imaginait.
Toute cette lutte théorique, entre deux idéologies radicalement opposées, s’incarne dans une histoire familiale : Llyod, jeune père, se trouve dans une situation complexe face au retour de son propre père dans sa vie alors qu’il juge l’homme pour l’avoir laissé, lui et sa mère, quand cette dernière est tombée malade. Complètement perdu et sombrant plusieurs fois dans la violence, c’est à ce moment précis que Rogers entre dans sa vie, lui montrant une autre voie, pas plus facile.
Souvent à la limite de l’expérimental, ce film est un projet hors du commun, qui se sert de tous les outils du cinéma pour amener à un questionnement profond, prenant parfois le risque de perdre son audience. Ainsi, ce film, s’il est difficile à recommander, semble important à voir, tant pour les performances de ses trois acteurs principaux (Tom Hanks, Matthew Rhys, Susan Kelechi Watson) que pour son thème.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur