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L'EDEN

Thérapie intéressée

Colombie. Au beau milieu de la forêt tropicale, trois jeunes gens sont contraints de déblayer une piscine, emplie de végétation. Quand ils n’effectuent pas ce type de travaux physiques, ils ont droit à des prières collectives, faisant partie d’une thérapie innovante visant notamment à leur faire accepter leur état et la gravité de leurs actes passés. Eliú, adolescent, fait partie de ces « usagers », bientôt rejoints par des « nouveaux », amenés par un militaire. Parmi ceux-ci se trouve un autre adolescent, surnommé El Mono, bien moins docile que lui, et qui lui rappelle l’acte qui l’a amené ici…

L'Eden La Jauria film movie

Avec "L'Eden" ("La jauria" que l’on peut traduire par « le paquet » - chacun se fera un avis après avoir vu le film sur ce qu’il désigne), qui s’inscrit dans la continuité de ses deux courts métrages, "El Edén" et "Damiana", Andrés Ramirez Pulido a voulu incarner au travers d'Eliú et des adolescents regroupés ici, toute une génération, dont la violence a imprégné l'existence, notamment dans leur rapport à un père, violent, ou absent. Inventant une sorte de centre (l’expérience décrite ici n’existe pas en Colombie), dans une hacienda abandonnée, où des adolescents ayant tous une relation à divers psychotropes, sont soumis à une prétendue thérapie, alliant confessions écrites, prières collectives et travaux manuels parfois extrêmes (voir notamment lorsqu'ils deviennent punition), c'est le parcours de deux ados en particulier qu'il va suivre.

D’un côté il y a donc Eliú, jeune homme plutôt introverti et obéissant, et de l’autre El Mono, dont la colère rentrée s’exprime par la nervosité permanente, ou quelques saillies verbales, lorsqu’elle ne se lit pas sur son visage narquois. Autrefois complices dans un acte odieux, relié à la première scène où on les voit, de nuit, transporter à moto le corps d’un homme en équilibre entre eux deux, leurs comportements s’opposent ici, aussi bien lors de la confrontation aux proches de leur victime, que face aux tâches qui leur sont demandées. La faculté d’Andrés Ramirez Pulido à révéler par bribes leur background (le questionnaire qu’ils doivent remplir, l’échange en groupe autour des mélanges de drogues...), les rapports entre eux, leurs aspirations, et la réalité de ce lieu, crée une ambiance étrange qui vous enveloppe. Celle-ci est encore renforcée par le point de vue pictural, incarnant des lieux hors du temps, délabrés, envahis par la nature, et dont personne ne semble pouvoir s’éloigner (même la reconstitution a lieu en forêt, près d’une grotte).

L’usage de légères symboliques (la lumière zénithale qui éclaire l’endroit où aurait dû se trouver le corps du mort…) pour mieux signifier les désirs de rédemptions de son personnage principal, et l’utilisation du calme de surface de son acteur Maicol Andrés Jimenez Zarabanda, renforcé par de lents travellings avant vers sa personne, permettent de mieux donner idée du dilemme qui le traverse. Grand prix de la Semaine de la Critique cannoise 2022, également prix de la SACD, "L'Eden" fascine par certaines de ses images, comme par le travail sur le son et la rare musique. Laissant paradoxalement la vraie violence souvent hors champs, Andrés Ramirez Pulido tente de tracer l’espoir d’un cercle de violence dont on pourrait sortir, tout en dénonçant au passage la corruption d’une partie des autorités, plus intéressée par ce que peut leur rapporter l’exploitation des jeunes prisonniers, que par leur réinsertion.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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