L'AMOUR ET LES FORÊTS
Le côté obscur de la passion
Blanche et Grégoire se rencontrent lors d’une soirée. C’est le coup de foudre réciproque, et très vite, ils se marient, ont des enfants et déménagent loin de la famille de Blanche. Jusqu’à ce qu’au fil du temps, le vrai visage de Grégoire, possessif et dangereux, se révèle aux yeux de Blanche, transformant sa vie en enfer…
Avouons-le : pendant une bonne heure, on se dit très clairement que le cinéma de Valérie Donzelli (jusque-là tout sauf éloquent au vu des très surestimés "La Guerre est déclarée" et "Notre dame") a enfin entamé – et même réussi – sa mue. Outre le fait de teinter son style d’une surprenante noirceur en raison du sujet abordé (une terrible histoire d’amour entre une femme fragile et un pervers narcissique de plus en plus inquiétant), cette adaptation du roman éponyme d’Eric Reinhardt laisse à penser que l’actrice-réalisatrice a changé son fusil d’épaule, troqué son goût de la pseudo-poésie factice pour celui d’un cinéma de genre habité et émotionnellement ardu. Et du coup inversé la portée de ses partis pris narratifs pour ne garder que ceux susceptibles d’élever un récit et une tension au niveau le plus optimal. C’est ce qui survient dans ce récit à combustion lente sur une emprise amoureuse qui confine à l’effroi.
Scène après scène, la façon dont la romance se teinte d’abord d’inquiétude, ensuite de peur et enfin de violence est tributaire de choix purement narratifs et visuels. D’un côté, la construction à rebours du récit, certes narré en voix-off mais sans paraphrase excessive, visant à reconstruire un trauma intime par bribes concrètes autant que par images mentales. De l’autre, un alliage visuel souvent adéquat qui aide à contrebalancer la rigueur très conventionnelle de la mise en scène. Ce qui épate le plus provient des choix musicaux qui interpellent à plus d’une reprise (en tendant l’oreille, les fans de Vangelis pourront aisément reconnaître une réinterprétation très libre des motifs du célèbre morceau La petite fille de la mer), mais aussi de l’usage primordial des éclairages et des reflets.
Que ce soit via un montage parallèle de dialogues en face-à-face entre la mère et l’une des deux filles (la lumière de la pièce change en fonction de la jumelle !) ou dans sa volonté de creuser les personnages par la seule façon dont ils se meuvent dans un décor parfaitement topographié (jeu brillant sur les perspectives, les embrasures et les apparitions/disparitions), Donzelli déballe des choix de mise en scène en rupture totale avec ce qu’elle faisait jusqu’à présent. Son duo vedette est d’ailleurs là pour l’épauler, même si, a contrario d’un Melvil Poupaud dont la maîtrise du malaise psychologique glace le sang, Virginie Efira commence un peu à lasser dans son éternel registre de la quadra romantico-tourmentée.
Pour autant, si sa faculté à construire un suspense de plus en plus insoutenable et anxiogène éclate ici au grand jour, Donzelli trébuche sur à peu près tout le reste. D’abord en renouant plus d’une fois avec ses dialogues over-littéraires et ses audaces pseudo-poétiques – dont une scène ridicule jouée en comédie musicale – qui en faisaient jusqu’ici la digne héritière de ce cinoche bobo-pédant dont Serge Bozon et Axelle Ropert restent les chantres. Ensuite en lâchant ici et là des pistes prometteuses qui, histoire de ne pas laisser sa narration programmatique s’éparpiller, se contentent de faire pièce ajoutée sans créer d’incidence sur le récit : à titre d’exemple, la seule présence d’une sœur jumelle n’offre aucune perspective hitchcockienne pour susciter le vertige vis-à-vis du personnage joué par Efira ou pour amplifier le suspense (pourquoi intégrer cela si ce n’est pas pour jouer, par exemple, sur la figure du double ou la substitution d’identité ?). Enfin en laissant son tandem central dominer exclusivement l’espace scénique, au point que tous les satellites en orbite autour d’eux fassent juste acte de présence. À ce titre-là, la plus grande victime est incontestablement la pauvre Virginie Ledoyen, déjà trop rare ces derniers temps, et qui hérite ici d’un quatrième rôle qui ne lui offre rien à jouer. À cause de ces faiblesses-là, Valérie Donzelli loupe dans les grandes largeurs le grand film choc dont "L’Amour et les forêts" affichait mine de rien les stigmates.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur