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L'AFFAIRE NEVENKA

Un film de Icíar Bollaín

Le harcèlement moral et sexuel vu de l’intérieur

En 1999 Nevenka Fernández, 25 ans, terminant ses études à Madrid, fut approchée par Ismael Alvarez, maire de Ponferrada et son équipe, afin de se présenter comme conseillère municipale aux prochaines élections. Après quelques hésitations, celle-ci se retrouva propulsée responsable des finances, poste un peu élevé pour un premier mandat. Sérieuse dans son travail, elle va subir les insistantes avances d’un maire qui se croit tout puissant…

Autrice espagnole reconnue, Icíar Bollaín, a réalisé plusieurs thrillers réussis, teintés de sujets de société plus ou moins politiques, comme la privatisation de l’eau dans le très intéressant "Même la pluie", la puissance des multinationales dans "L’Olivier", les violences conjugales dans le marquant "Ne Dis Rien" avec Luis Tosar en mari persécuteur, ou les rencontres entre victimes et terroristes de l’ETA dans le plus mélodramatique "Les Repentis". La revoici pleine de mordant avec le biopic de Nevenka Fernández, jeune femme tombée sous l’emprise d’un homme politique, Ismael Alvarez, maire de Ponferrada en Castilla y León, lieu où la production n’obtiendra même pas de réponse à sa demande d’autorisation de tournage. Partant d’une scène où la femme semble terrorisée, se terrant dans un appartement, puis son avocat lui répondant une phrase nécessaire pour les victimes (« Je te crois »), le film se construit ensuite en un flash back, reconstitution des moments clés qui mèneront cette jeune femme dans un état de destruction physique et psychique, le récit revenant ponctuellement aux préparatifs de l’accusation, pour mieux nous amener au procès final.

Ce qui marque avant tout dans "L’Affaire Nevenka", c’est la capacité de sa mise en scène, comme celle de ses deux remarquables interprètes principaux, à faire basculer des moments en apparence anodins, dans un lieu de travail et dans les quelques « à côtés » au départ légitimes (un verre ou un repas, une célébration programmée, un déplacement...), et à faire surgir l’inquiétude ou l’effroi là où la confiance et l’esprit d’équipe devraient en théorie régner. Il suffit à Urko Olazabal d’un changement dans son expression du visage, d’une modification de son regard, pour passer de l’homme politique bon vivant et ouvert, parfois presque enfantin, au prédateur insistant et progressivement autoritaire. C’est ainsi que Icíar Bollaín décortique brillamment les moteurs du harcèlement sexuel. Il y a d’abord la positon d’autorité, qui se niche dans plein de détails, même dans les dialogues (« avant d’être politique je suis entrepreneur », « Ismael, tout le monde le connaît »...), la victime comme le bourreaux étant contraints de compter leur alliés et leurs ennemis dans leur entourage de travail. Il y a ensuite une logique perverse de séduction devenant possession : au charme et à la poésie, succèdent le sexe empressé, la rancœur et les pressions, puis le mépris et le chantage, à la fois affectif et professionnel. Il y a aussi ce terrible regard des autres, jusqu’aux parents, qui se refusent à croire l'innommable, et préféreraient, comme beaucoup, éviter tout scandale, sachant ce qu'ils ont à perdre face à un homme « puissant ».

Glaçant, le film décrit ainsi le piège dans lequel se retrouve Nevenka, ne pouvant quitter ses fonctions sans devoir implicitement admettre qu’elle est incompétente. Atout majeur du métrage, Mireia Oriol (découverte dans "El Pacto" et vue depuis dans le charmant "El Arte de Volver") incarne Nevenka dans ce mélange d'ingénuité apparente et de volonté tenace, et dans cette confiance qu’elle accorde à celui qui lui a donné sa chance, comme dans cette blessure intérieure doublée d’une peur viscérale, qui finit par tout dominer. Icíar Bollaín suit sa descente aux enfers, injectant quelques rares respirations par les paroles réconfortantes lors des préparatifs du procès, et entretenant un malaise grandissant à l’image de celui de sa protagoniste. Ainsi la scène de célébration de la victoire du PP (Parti Populaire) aux élections nationales est filmée comme une scène de traque au travers de salons bondés, quant à celle du mariage à Logroño, elle devient grâce à un travail sur le son et le flou de l’arrière plan, une leçon de perception de la tétanie. Usant aussi de symboles puissants, tel le banquet des fêtes de la ville, où une sorte de Roi attend à table sa conquête, ou la manière dont le procureur la bouscule lors du procès - le juge devant rappeler que ce n’est pas la victime qui est l’accusé -, Icíar Bollaín réussit ici un film définitivement important sur le harcèlement et les violences morales et sexuelles, qui pointe intelligemment du doigt la cruelle relativité de la solidarité féminine, et met en évidence les conséquences physiques, psychologiques, comme parfois sociales, qu’il faut souvent une force incroyable pour affronter, à l’image de cette inoubliable Nevenka.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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