KINDS OF KINDNESS
Une fable déstabilisante et troublante sur les rapports de force
Trois histoires qui font se croiser un homme dont la vie semble dictée par les autres, une femme qui ne semble plus la même après une disparition en mer, et une autre cherchant à tout prix à trouver un être spécial. Dans cet univers-là, les apparences sont trompeuses…
Après le triomphe de "Pauvres créatures", Lion d’Or à Venise et quatre Oscars en poche notamment, Yorgos Lanthimos est déjà de retour, qui plus est en compétition officielle au Festival de Cannes. Comment est-ce possible, seulement quelques mois après la sortie de son précédent opus ? Tourné durant la post-production du précité, "Kinds of Kindness" pourrait faire office de « petit film », tourné pour seulement quinze millions de dollars en peu de semaines. Oui, sauf que le réalisateur grec ne sait pas faire les choses à moitié, et chacun de ses projets se veut une démonstration de son (immense) talent, quitte à en faire une nouvelle fois trop, à sombrer dans un certain exposé de sa maîtrise hors-du-commun de la géométrie des plans et de la grammaire cinématographique.
Anthologie construite autour de trois récits, le film se veut un questionnement autour des jeux de pouvoir et de domination qui habitent et animent les êtres humains. La première histoire suit le parcours d’un homme dont tous les choix sont dictés par un employeur sans scrupule, aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle. Le second voit un policier dubitatif s’interroger sur le retour de sa femme après une longue disparation, au point de se demander si celle-ci ne serait pas une autre. La dernière intrigue nous plonge dans une secte à la recherche d’une mystérieuse personne susceptible de réveiller les morts. À l’image de sa filmographie, le metteur en scène s’amuse avec ses protagonistes pour susciter la tension dans l’anodin, transformer le banal en quelque chose de bien plus dérangeant. Un simple pied qui aurait grandi, et c’est tout un monde qui bascule dans l’horreur.
Véritable terrain de jeu, le métrage est avant tout un bonheur pour les comédiens, eux qui interprètent des rôles différents à chaque épisode de ce triptyque. Et là est la principale qualité de cette œuvre atypique, le plaisir communicatif de voir des acteurs s’éclater, tenter des choses, révéler toutes les variations de leur large palette. À ce titre, le jury présidé par Greta Gerwig ne s’est pas trompé en récompensant Jesse Plemons, une nouvelle fois étincelant, lui qui avait réussi en une poignée de minutes à tout emporter sur son passage dans le récent "Civil War". Au-delà de ces performances, "Kinds of Kindness" sonne comme une réappropriation du formalisme froid et clinique de Yorgos Lanthimos, en y ajoutant cette fois un humour assumé. Mais comme souvent chez lui, il ne s’agira pas de gags grossiers, mais d’une dérision perturbante, où les soirées vidéo entre amis ne sont pas celles que vous attendez et où les petites recettes maisons n’ont pas la même saveur. Sans atteindre la maestria à laquelle le réalisateur nous avait habitué, cette cuvée 2024 est loin d’être un interlude superflu, mais bien un drame singulier qui mérite le détour par les salles obscures.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur