K.O
Une oeuvre aux limites du réel qui met k.o.
Après la série à succès "Les Revenants" et son premier long métrage, "Simon Werner a disparu", Fabrice Gobert continue à développer son imaginaire si particulier, entre fantasmagorie et poésie. Il est toujours question d’êtres ordinaires face à l’extraordinaire, de personnes isolées s’efforçant de trouver des réponses à l’impensable. Il y a également ce sens du rythme méticuleux, distillant tel un métronome la bonne dose d’agitation et de crainte, de calme et de torpeur. Antoine Lecomte a l’arrogance de ces hommes de pouvoir à qui tout réussit. À la tête d’une chaîne de télévision en vogue, il se permet tout, de mépriser ses animateurs comme de tromper sa femme. Après avoir humilié une fois de trop un présentateur trop soucieux de son avenir, ce dernier craque et se venge en abattant son patron d’un coup de revolver. Sauf qu’à son réveil du coma, tout l’entourage du blessé lui affirme qu’il a seulement été victime d’une crise cardiaque. D’ailleurs, tout son quotidien est désormais différent, de son adresse à son travail.
À l’image de ces grands miroirs qui peuplent l’appartement du protagoniste principal, le film est avant tout un jeu sur les apparences, sur les faux semblants, tendance thriller à l’américaine. Sauf qu’ici, ce jeu de dupes atteint un niveau rarement égalé en raison du talent de son cinéaste. Le réalisateur arpente tous les chemins possibles, nous perd, nous retrouve, nous emmène sur de nouvelles pistes, utilise toute la puissance de l’image cinématographique pour nous offrir un voyage au-delà du vraisemblable. Et la force première du métrage est de maintenir un suspense haletant durant toute sa longueur, développant une ambiance anxiogène jamais étouffante. Car tout est une question de détails dans "K.O", de visages déjà aperçus, de comportements déroutants, de regards et de silences.
Si quelques rebondissements entachent un brin la qualité de l’ensemble, le film est un superbe essai de genre, passionnant et déconcertant, à l’inventivité folle. Mais il doit également beaucoup à son interprète, Laurent Lafitte, excellent dans ce rôle tout en nuances, à la fois tendre et horripilant, sûr de lui et complètement dérouté. Sophistiqué et gracieux, ce thriller hexagonal confirme tout le bien qu’on pensait de son auteur, lui permettant de poursuivre son chemin atypique dans le fantastique français, un monde lyrique où songe rime plus que jamais avec mensonge. Derrière l’illusion, se cache à la fois une critique d’un microcosme où les puissants écrasent les plus faibles (en l’occurrence, le monde de la télévision) et une histoire d’amour déchirante. C’est ambitieux et tellement réussi que cela mériterait presque un deuxième visionnage pour en apprécier toute la minutie.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur