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JUSTIN BIEBER: NEVER SAY NEVER

Un film de Jon M. Chu

Never ever

L’histoire vraie de Justin Bieber, jeune chanteur canadien né à Stratford devenu aujourd’hui un phénomène mondial, allant jusqu’à donner des concerts à guichets fermés au Madison Square Garden…

Ne pas se fier à un titre qui pourrait être celui du prochain James Bond. Ne pas se fier à cette jeune crevette à capuche de seize printemps (à l’époque de la sortie du film) qui se rêve en idole branchée et populaire sans savoir modérer ses ardeurs de jeunesse. Ne pas se fier non plus aux fausses promesses d'un film qui dissimule très mal ses ambitions de produit marketing. Ne pas se fier aux apparences, en gros. Parce qu'ici, l'exercice critique est de nouveau placé dans une position d'équilibriste très irritante. Comme ce fut le cas avec les Spice Girls il y a presque vingt ans (ô douloureux souvenir...), Hollywood raffole si fort des success story racoleuses qu’il semble devenu normal de changer la fiction en réalité (voire l'inverse), n'hésitant pas à prendre des stars planétaires dont le chiffre d'affaires suffirait à éradiquer la famine au Soudan, le tout dissimulé sous la capuche du documentaire en relief 3D, histoire de faire genre « la vérité derrière la légende ».

On se souvient que la mort de Michael Jackson avait accouché d'un docu-posthume censé explorer la personnalité de la star à travers les répétitions de son méga-concert, et on connait le résultat : sans jamais révéler ne serait-ce qu'une seule demi-information nouvelle, "This is It" ne brassait que du vide, ne développait aucun rapport avec le cinéma et se cantonnait à son rôle de robinet lacrymal pour fans éplorés. "Never Say Never" n'est pas à placer dans la même catégorie, d’une part parce que la star dont il est question est toujours en vie, d'autre part parce que le film en fait le portrait d’une bête de scène à l’énergie ravageuse. Mais surtout, le film a parfois l’air de développer, à travers le parcours d’un jeune chanteur parti de rien pour arriver au méga-sommet de la méga-gloire, un grand nombre d'enjeux intéressants sur le star system : la quête de normalité pour les artistes, la génération branchée YouTube/Twitter, les jeunes prodiges élevés au rang de modèle pour des jeunes sans repères, etc... Or, si le film ne traite jamais un seul de ces points autrement qu'en filigrane, c'est parce qu'il les survole sans autre ambition que de s’incarner en produit dont la cible se devine comme le nez au milieu de la tronche. Et comme la pompe à fric a été conçue pour fonctionner en boucle...

On aurait tant souhaité que ce « film » puisse servir de témoignage massif sur les excès du star system et la folie médiatique qu'elle engendre, mais c'est le retour vers une autre époque qui s'opère ici : celle, horrible, où le phénomène des boy's band inondait les rayons de la Fnac, où l'on ne pouvait pas allumer la radio sans qu'un nouveau groupe préfabriqué ne sorte un tube pourri avant de retomber dans la précarité, où un public féminin imitait les vuvuzelas face à une poignée de bellâtres métrosexuels qui chantaient des atrocités à faire fuir n'importe quel fan de Slipknot, et où la célébrité, moins érigée comme épiphénomène que comme idéal illusoire, devenait le facteur n°1 de décervelage d'une génération qui s’est vite sentie orpheline lorsque tout ce cirque a pris fin. Le parcours de Justin Bieber est à ranger à peu près dans le même panier : de ses premières improvisations sur YouTube jusqu'à ses méga-concerts avec show laser et tout le ramdam, le film n'a de cesse que de célébrer la naissance d'une icône starisée, devant laquelle l'Amérique entière n'arrête pas de se pâmer et où aucune nuance problématique n'est permise (tout juste saisit-on que le gosse n'est pas assez mature : waow…).

Pire encore : cet énorme spot de pub pour la star (logique : c’est MTV qui produit) ne parvient même pas à masquer l'arrogance dégueulasse qui règne dans ce milieu. Alors, comme ça, malgré la célébrité, Justin est resté un garçon simple qui sort avec ses potes, range sa chambre avant de sortir le soir et reste intègre grâce au soutien de ses fans ? Comment croire à cela en le voyant jouer des œillades face caméra sur un terrain de basket, surligner chaque mouvement de mèche au ralenti, donner une pièce à une jeune violoniste de trottoir en lui conseillant de suivre ses rêves, ou même, plus simplement, enchaîner les dérapages médiatiques depuis plusieurs d’années ? La démagogie se pare alors d'un sous-texte puritain et hypocrite, non détaché de cette vulgarité clinquante propre au star system (voir l'apparition d'une Miley Cyrus fringuée en pouffe de luxe), et "Never Say Never" ne fait que surfer sur un système de prêchi-prêcha infâme qui tend à célébrer la puissance du rêve sans jamais oublier de tirer profit du système qui l'enrichit. Même l'usage de la 3D est ici justifié de la façon la plus conne du monde : à chaque fois que Justin Bieber tend sa main vers la caméra, 95% des filles présentes dans la salle semblent saisies d'une irrésistible envie de traverser l'écran, sans s'être rendues compte que c'était juste du mauvais cinéma. Du coup, oui, on a plutôt envie de dire « jamais ». Plus jamais ça, en gros...

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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