JULIE (EN 12 CHAPITRES)
Une romance débordant d’authenticité et incarnée avec brio
À bientôt 30 ans, et après de nombreux choix d’études différents, Julie ne sait toujours pas ce qu’elle veut faire de sa vie. Elle rencontre Aleks, un auteur de BD à succès. Le début d’une histoire d’amour passionnelle que le temps va progressivement user…
Le hasard… Difficile de réaliser un film sur les aléas de l’existence, ces petits moments perçus anodins sur l’instant qui, pourtant, vont dicter un autre chemin, influencer les protagonistes consciemment ou inconsciemment. Une rencontre, une conversation, une découverte littéraire, un événement tragique, tant d’instantanés d’une vie qui tissent la toile d’un destin, d’une réalité que Joachim Trier va observer d’un point de vue omniscient. Mais le hasard, c’est aussi le choix de son actrice principale, l’éblouissante Renate Reinsve, entraperçue dans "Oslo 31 août", qui s’apprêtait à arrêter sa carrière suite à l’absence de rôles intéressants. Heureusement pour les cinéphiles, les dés sont tombés sur la bonne face, et la comédienne de livrer une prestation incandescente.
Avec "Julie (en 12 chapitres)", le cinéaste norvégien s’impose comme l’un des plus fins observateurs d’une jeunesse désillusionnée, d’une génération de trentenaires en pleine crise existentielle, capturant aussi bien les émois intimes que les frémissements sociétaux. Entre Noah Baumbach et Mia Hansen Love (également en compétition au Festival de Cannes avec "Bergman Island"), Joachim Trier continue d’explorer l’âme humaine à travers un cinéma mélancolique et pudique, où le symbolisme s’incarne dans l’esquisse parfaite de ses personnages, à la fois archétypes d’un propos et représentations sincères de toute la complexité de cette période contemporaine.
Julie a trente ans, a longtemps hésité sur le métier qu’elle désirait faire, multipliant les premières années de fac sans jamais être convaincue. Elle trouve des petits boulots, rencontre un auteur de BD de plus de dix ans son aîné. Forcément, leurs aspirations sont différentes ; lui cherche à se poser, à fonder un foyer ; elle, refuse l’idée d’avoir des enfants, de renoncer à sa liberté alors qu’elle ne s’est pas encore trouvée. De ces réflexions banales, Joachim Trier dresse un magnifique portrait de femme, ancrée dans son temps, désinvolte et bouillonnante, tout en radiographiant une époque où les mœurs évoluent, où les « acquis » d’hier sont questionnés par une nouvelle vague d’individus épuisés et révoltés.
Fresque lyrique et poétique, le métrage est empli d’audaces visuelles, de dialogues aiguisés et de ressorts scénaristiques parfaitement maîtrisés. Les scènes attendues du genre de la comédie romantique sont détournées, sublimées, pour inscrire l’ensemble dans une chronique déchirante, tantôt drôle, souvent poignante. Là où le procédé narratif pourrait enfermer le film dans une certaine répétitivité, chaque chapitre participe au contraire à un exposé lumineux sur les contours d’une vie qui ne peut être linéaire. Mêlant ainsi l’anecdotique au drame, l’humour au tragique, "Julie (en 12 chapitres)" est un puzzle savoureux, parfaitement en phase avec son intention, celle de dessiner les tourments amoureux dans toute leur délicatesse et multiplicité. Très grande œuvre d’un metteur en scène qui croit éperdument en la puissance de son médium, et conclusion de sa trilogie officieuse sur Oslo, cette dramédie est une petite merveille en son style, propulsant sur le devant de la scène la talentueuse Renate Reinsve récompensée à juste titre par le Prix d’interprétation à Cannes.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur