JOHN WICK 4
Parabellum Maximum
Toujours traqué par l’organisation criminelle connue sous le nom de la Grande Table, John Wick est confronté à un nouveau défi : un jeune et arrogant Marquis s’est mis en tête de le vaincre en supprimant (ou en retournant contre lui) tout ce qui a pu caractériser son trajet jusqu’ici, de ses connaissances jusqu’à ses lieux de prédilection. De New York jusqu’à Paris, les cadavres vont se multiplier…
Qui aurait cru qu’en trois films, l’univers de "John Wick" allait finir par cimenter la saga d’action la plus euphorisante du moment, renvoyant hors de la stratosphère à peu près les trois quarts des actionners hollywoodiens ? Personne, et surtout pas nous quand on repense à la phase introductive ultra-bis qui fit figure de premier opus, petit amuse-gueule ultra-fun mais sans grande conséquence, du moins avant que la logique de l’univers ne prenne des proportions totalement inédites. La logique concoctée par la paire composée du réalisateur-cascadeur Chad Stahelski et de l’acteur-star Keanu Reeves tenait finalement à peu de choses : exploiter une trame minimale (le tueur imbattable traqué par tous les tueurs de la planète) pour remettre le déluge d’action pure, non seulement au premier plan, mais surtout en tant qu’épicentre du moindre parti pris de mise en scène. Chorégraphie, mouvement, célérité, brutalité : quatre points cardinaux qui, dès le second – et meilleur – film de la saga, auront fini par tout redéfinir de la grammaire martiale et pyrotechnique sur grand écran, avec en plus une ampleur théorique et graphique hors du commun qui transformait le monde réel en une simili-Matrice où tout un chacun se retrouve susceptible de cacher en lui un tueur potentiel. Mais après un troisième film qui avait pris acte de cette évolution pour pousser les potards en matière de carnage, que pouvait-on attendre d’une quatrième fournée s’annonçant comme la même chose au format Maxi Best Of ?
A priori, il ne manque ici absolument rien à la formule qui marche. En plus de n’avoir toujours pas mis la main sur un rasoir en état de marche, ce cher John Wick est toujours traqué à travers la planète, se coltine des éminences grises obéissant à on ne sait plus trop quel rite absurde, rencontre à chaque fois des amis/ennemis dont la discussion minimaliste (et parfois cryptique) s’achève par un massacre à très grande échelle qui change le décor en bouillie, évolue dans des couloirs et des espaces configurés à la manière d’un beat them up grandeur nature, et se farcit en bout de course un boss final qui, en général, se résume à une double entité (le gros rustre bourrin et le gringalet ultra-con). Cette fois-ci, c’est à Bill Skarsgard (le clown de "Ça") de jouer le rôle du petit vilain arrogant qui finira par regretter de pratiquer ad nauseam le roulage de mécaniques, tandis que les destinations – donc les niveaux de ce jeu vidéo globe-trotter – s’enchaînent à nouveau à la queue leu-leu, allant d’un hôtel luxueux d’Osaka à une rave-party berlinoise inondée de pluie en passant par notre bonne vieille capitale qui va être sacrément mise à contribution – on va y venir. Du coup, quoi de neuf à relever ? En réalité, ce n’est pas la nouveauté qu’il faut venir chercher ici. C’est la concrétisation, l’apothéose, le trop-plein monstrueux et démesuré qui met plus d’une fois les orbites et le rythme cardiaque au bord de la surchauffe. Rétrospectivement, on ne sait pas si chaque nouvel épisode de la saga "John Wick" a été initialement envisagé comme une conclusion ultime, mais on serait prêt à miser nos plus gros jetons sur celui-là.
La durée hallucinante du film était déjà un avertissement en soi : allait-on vraiment tenir le choc sur pas moins de 2h50 ? Avouons-le, la grimace était de rigueur sur les premières scènes, relativement calmes parce que focalisées sur des échanges verbaux étrangement rallongés et atmosphériques, où l’on case sans arrêt cinq secondes de silence entre deux dialogues prononcés de façon très lente. C’est suspect, c’est même assez crispant, et ça laisse à penser qu’en lieu et place d’un scénario original, Stahelski aurait surtout usé de la technique de l’élastique pour « enrichir » une trame-confetti qui aurait pu être torchée en 1h30. On fait pourtant erreur, tant la dimension ludique de cette saga tient désormais autant sur la chorégraphie inouïe de ses affrontements que dans la sophistication rare de ses décors et de ses ambiances. Toutes les scènes de "John Wick – Chapitre 4" franchissent ainsi le point de non-retour : stylisées avec un génie consommé du baroque, perfusées à un soundtrack à cheval entre la techno pulsative et les nappes hypnotiques, multipliant les détails fétichistes et les idées symboliques par de simples jeux sur l’arrière-plan (idée maline d’avoir intégré les peintures d’une galerie française dans un dialogue-clé entre deux antagonistes), et métamorphosant chaque décor visité en un arrière-monde tantôt passéiste tantôt sous acide.
Évoluant entre des combats d’une ultra-violence à décorner les taureaux et des relectures abstraites et quasi cérémoniales de la notion de « face-à-face » (dont certaines en lien direct avec les codes du western), le film tire ainsi profit de chaque phase de repos, histoire de ne pas se laisser cannibaliser par son appétit de sauvagerie XXL. Du moins jusqu’à ce qu’en guise d’ultime épreuve du parcours de bête traquée de notre ancien « élu de la Matrice », les scénaristes se décident à faire appel à la ville organisatrice des JO de 2024 pour un hallucinant climax d’action, étalé sur plus d’une heure (oui, vous avez bien lu !), qui transforme Paris en plateforme de jeu vidéo, avec John Wick en cible à éliminer et traquée par mille « joueurs » sur un trajet mouvementé allant de la Tour Eiffel au Sacré-Cœur. On se rend compte que toute la saga tendait vers une apothéose de ce genre, où le désir de battre le record de la plus grande hécatombe de cadavres non-stop – la promesse est très largement tenue ! – irait de pair avec une action systématiquement transcendée par l’image et le découpage, avec des idées variant d’une scène à l’autre. À noter un incroyable plan-séquence astral à la sauce De Palma, qui sublime un massacre gargantuesque dans un hôtel parisien en ruine ! Au terme de ce duel à visage multiple et aux identités sans cesse redéfinies (qui est allié ? qui est ennemi ?), il y a de quoi sortir de la projection sur les rotules, rassasié comme jamais mais tout de même aussi épuisé que notre protagoniste (pas si) increvable. Bilan ultra positif, donc. Mais cette fois, on espère vraiment que c’est la fin.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur