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JE M'ABANDONNE A TOI

Un film de Cheyenne Carron

« Qu’avons nous fait au bon Dieu ? »

Paul, aumonier dans une caserne de la légion étrangère, a pour mission d’apporter son soutient aux soldats dans le besoin. Dans le même temps, il essaye de prendre du temps pour sa mère souffrante…

Je m'abandonne à toi film movie

Cheyenne Carron est une réalisatrice, productrice et scénariste française assez productive puisqu'elle a déjà 14 longs métrages à son actif. En se penchant de plus près sur sa filmographie, on constate que le thème de la religion est récurent dans ses œuvres, comme celui des institutions, l'armée plus particulièrement. S’il existe des films produits pour de mauvaises raisons et qui n'ont pour seul but que de faire de la propagande qui lorgne dangereusement vers une sorte de révisionnisme (coucou "Vaincre ou Mourir"). Le film qui sort dans nos salles et qui nous intéresse aujourd'hui fait en vérité partie intégrante de l’œuvre de Carron. Après "Jeunesse aux Coeurs ardents" (2018), "Le Soleil reviendra" (2020) et "La Beauté du monde" (2021), voici le dernier « chapitre d'une saga » qui questionne la place de la religion au sein de l'Armée. Mais tout aussi louable que soit l’exercice, il aurait fallu que la cinéaste n'oublie pas de faire un film avant tout.

Le script du film apparaît comme le problème principal. Alors que l'exposition du personnage, de ses liens avec ses camarades dont le docteur du régiment et sa mère à l'extérieur, traîne en longueur, des séquences de son activité de prêtre font du remplissage qui alourdissent indéniablement le rythme. Surtout que pas une action ne se révèle constituer un véritable enjeu ou obstacle pour notre protagoniste. Il doit aider un camarade en prison à rapatrier sa mère qui vit en Ukraine ? Tout se passe sans encombre, bien qu'on nous martèle à quel point la situation est exceptionnelle. On pense qu'une intrigue est lancée, mais ce n'est au final qu'une succession d'un quotidien partagé entre confession, perte de certains camarades et affirmation de foi. Jamais nous ne nous sentons investis d'un personnage au ton monotone et aux échanges sur-écrits, qui nous donne un peu l'impression d'assister à une séance de catéchisme. Un film a bien évidemment le droit de représenter les valeurs ou convictions de son auteur ou autrice, comme a pu nous le montrer Mel Gibson et sa "Passion du Christ" (2003) ou encore "Tu ne tueras Point" (2015). Et que l'on aime ou pas ces deux œuvres là, la question réside plus dans la manière dont on s'empare d'un sujet pour le rendre cinégénique. Ce sont des métrages dont la mise en scène transporte bien au delà du propos.

Malheureusement nous sommes ici face à une œuvre qui ne s'assume ni comme totale fiction ni comme documentaire, et qui finit alors à ne ressembler qu’à une longue vidéo promotionnelle. C'est alors qu'on jurait voir ici et là certains « personnages » authentiques, jouant leur propre rôle puisque nous assistons à des séquences entières sous forme d'interview. Mais non, nous ne sommes pas dans un métrage comme "Être et Avoir" de Nicolas Philibert (2002) qui avait complètement embrassé cette forme de cinéma vérité, en suivant une classe de maternelle au fil des saisons. Nous ne sommes pas non plus dans une œuvre de fiction qui s'aventure à rendre réel grâce à une caméra épaule, à un montage sec et au propos percutant comme l'avait si bien retranscrit "Entre les murs" de Laurent Cantet (2008). Tout comme le reste du film, pas une fois la question formelle ne vient pointer le bout de son nez. Même le format cinémascope choisi, rentre en contradiction avec une volonté de coller au réel. Le faux poétisme des dialogues n'aide pas, empêchant toute authenticité dans les liens entre les personnages. N'est pas Prévert qui veut.

Cheyenne Carron ne choisit donc jamais ni le point de vue, ni la forme, ni le récit qu'elle veut raconter. Aucune véritable histoire n'est mise en place, hormis les déambulations de ce Padre qui aide, écoute, va à la brocante et enterre sa mère. Jamais il n'y aura une prise de recul du personnage face aux péripéties vu qu'elles sont inexistantes. Jamais ses doutes ne vont plus loin que quelques phrases pompeuses et sans conséquences pour « l'intrigue ». Les rares contradicteurs présents dans le film, visibles en début de métrage, voient leurs arguments vite voler en éclats et nous avec. Car si on sent bel et bien une sensibilité notamment dans les séquences de nature, on ne peut s'empêcher de n'y voir qu'une forme de longue publicité pour l’Église. Et l'auteur de ces lignes n'a rien contre le concept de religion, au contraire, mais n'apprécie pas lorsqu'un film ressemble au final à tout sauf à un film. Une heure et demie plus tard ce n'est pas par Dieu que nous sommes touchés, mais bien par Morphée. De plus, lors des recherches autour de la conception du projet, on remarque que Cheyenne Carron a monté une cagnotte Hulule en parallèle du film, ayant pour but la construction d'une église. Le principe n'est pas dérangeant. Ce qui l'est par contre, est de ne pas nous récompenser nous, en tant que spectateur. Un conteur sans histoire, un spectacle sans éclats, une émotion fabriquée; il sera compliqué pour nous d'être convertis, tant la générosité du métrage est quasi inexistante.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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