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JE DANSERAI SI JE VEUX

Un film de Maysaloun Hamoud

Non ma fille, tu n’iras pas danser ? C’est ce qu’on va voir !

Laila et Salma sont deux jeunes Palestiniennes qui partagent un appartement à Tel Aviv, où elles cherchent à vivre le plus librement possible. Elles accueillent une nouvelle colocataire de leur communauté : Nour, une étudiante voilée...

Pour son premier long métrage, la réalisatrice palestinienne Maysaloun Hamoud n’a pas choisi la facilité : parler sans tabou de jeunes Palestiniennes qui tentent de profiter de la modernité en Israël, ça bouscule forcément les clichés ! On imagine aisément, notamment à la vue des innombrables sociétés et institutions qui ont cofinancé le film, qu’il a été ô combien compliqué de monter un tel projet. Et ce n’est pas surprenant de trouver, parmi les producteurs principaux, le nom de Shlomi Elkabetz, auteur du très féministe "Procès de Viviane Amsalem" aux côtés de sa regrettée sœur Ronit Elkabetz (à qui "Je danserai si je veux" est d’ailleurs dédié).

Dans la scène d’introduction (où l’épilation rappelle le film libanais "Caramel"), sont exposées les hypocrites contraintes avec lesquelles les femmes doivent composer dans les sociétés conservatrices : leur plaisir doit être limité et surtout secret. Or, dès la scène suivante, tous ces principes à la noix sont envoyés aux quatre vents lorsque le spectateur découvre les personnages de Laila et Salma. Tout y passe (peut-être à l’excès) : musique électro, forts caractères, tenues plutôt légères, drague, cigarette, alcool, drogue… Rien ne semble arrêter ces deux-là.

Rapidement, elles font la connaissance de leur nouvelle colocataire, véritable caricature de la jeune musulmane pieuse et coincée. Malgré quelques gros sabots, Maysaloun Hamoud installe une atmosphère étonnamment équilibrée et presque sereine, évitant une confrontation entre les trois femmes, en jouant notamment sur la très grande timidité de Nour, qui n’essaie donc même pas de s’indigner face aux extravagances de ses surprenantes compatriotes. Au contraire, la cinéaste construit progressivement une forme de complicité/solidarité entre les trois, qui se passe parfois de mots au profit d’une grande subtilité (la scène de la douche en est une délicate illustration).

En revanche, cette volonté de ne pas tout verbaliser et de distiller des indices peut avoir un effet perturbant sur la compréhension du film (quoique cela n’empêche pas de cerner l’essentiel). Le spectateur occidental peut avoir ainsi des difficultés à appréhender les origines des personnages (le fait que la famille de Salma fasse partie de la minorité chrétienne, par exemple, ne correspond pas à ce qu’on a l’habitude de voir quand on parle de Palestiniens !). La difficulté est accrue par le mélange d’arabe et d’hébreu, contraignant le spectateur à faire un effort supplémentaire d’identification pour mieux appréhender les rapports entre certains personnages. Dommage que le distributeur n’ait pas eu la bonne idée de mettre les sous-titres dans deux couleurs différentes.

Mais ces bémols ne sauraient enlever ce qui est primordial : le portrait de trois femmes qui se heurtent, chacune à leur manière, aux obstacles qui freinent leurs désirs d’émancipation – ou du simple respect de leur dignité. Le titre français apparaît comme une ferme revendication (le verbe est bien au futur et non au conditionnel), mais c’est un trompe-l’œil partiel car, même avec une volonté de fer, les personnages doivent composer avec une société aux multiples contraintes. C’est ce qui transparaît mieux à la fois dans le métaphorique titre original ("Bar Bahr" signifiant littéralement "Terre et mer") et dans le titre anglais international plus explicite ("In Between", c’est-à-dire "entre deux"). Laila, Salma et Nour paraissent en effet coincées de toutes parts. Avec ces femmes issues d’une communauté qui peine à trouver sa place dans un pays où la jeunesse est tiraillée entre modernité et orthodoxie, "Je danserai si je veux" s’inscrit pleinement dans le féminisme intersectionnel.

Mais la question palestinienne et les relations entre juifs et musulmans ne sont ici traitées que de façon sous-jacente, contrairement à la grande majorité des films israéliens. Ces éléments ne semblent être là que pour tisser une toile de fond et montrer que l’émancipation de ces femmes est un combat éclipsé par d’autres enjeux, rendant peut-être leurs revendications inaudibles dans un tel contexte socio-politico-culturel (et que dire de la communauté LGBT, qu’évoque aussi ce film ?). Le poids des religions est plus palpable, à des degrés divers, au point que Maysaloun Hamoud en fasse un verrou majeur à faire sauter. La réalisatrice semble d’ailleurs prendre un malin plaisir à ridiculiser ou rendre détestable certains personnages (la scène du piège dans le parking est un régal !) mais elle ne tombe pas dans la caricature qui consisterait à ne proposer que des salauds parmi les personnages masculins. Elle sait par ailleurs rendre attachants ses héroïnes et quelques autres protagonistes, et insuffler une dynamique d’espoir au lieu de verser dans le pessimisme pur. Avec la belle direction artistique globale (y compris au niveau du son avec une excellente BO dominée par de l’électro underground palestinien aux touches orientales) et la très bonne prestation d’un casting composé d’inconnus, voilà suffisamment d’ingrédients pour faire vibrer cette histoire et faire oublier les imperfections évoquées plus haut.

>>> En partenariat avec l’association EgaliGone

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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