J'AI PERDU MON CORPS
Une œuvre poétique d’une intensité rare
Dans un laboratoire, une main coupée sort d’un frigo et s’échappe par les toits, bien décidée à retrouver le corps auquel elle appartient. Quelque part, ailleurs dans Paris, Naoufel, jeune livreur, coincé au pied d’un immeuble, tombe sous le charme de la voix d’une de ses clientes, Gabrielle. Il va tout faire pour savoir quel visage elle a et pour se rapprocher d’elle…
Voici donc que ce projet passionnant, que nous suivions depuis plus de 5 ans, depuis la découverte de quelques dessins et images montrées au Cartoon movie (le pilote date de 2014), a enfin pris forme sous nos yeux, au Festival de Cannes, puis en compétition au Festival d’Annecy. D’une longue attente d’un côté et d’un rude labeur de l’autre, est donc née une vraie rencontre, entre une œuvre développant deux histoires en apparence parallèles et des spectateurs séduits par le romantisme, la poésie et le sentiment d’urgence qui émanent du métrage. Grand prix de la Semaine de la critique 2019, "J'ai perdu mon corps" est donc un film complet, visuellement impressionnant, et qui emportera forcément avec lui, un bout de votre cœur.
Intelligemment construit, le scénario, adapté du roman de Guillaume Laurant Happy Hand, nous fait suivre d'un côté les péripéties vécues par une main, échappée d'un laboratoire, et de l'autre ce personnage de jeune livreur, tombé amoureux d'une cliente insatisfaite qu'il n'a connue que par interphone interposé. Alternant moments de tension intenses (l’échappée de la main, son passage dans le métro, le moment dans l’escalator...), souvenirs déchirants ou rassurants (un moment sur la plage, la sensation du sable entre les doigts, la surprise face à une coupure...), et dialogues délicieusement romantiques, "J'ai perdu mon corps" nous emporte dans un tourbillon de sensations qui nous entraîne avec lui bien au delà de la projection.
L’auteur, Jérémy Clapin, auteur du court métrage "Skhizein" (Prix de la découverte à la Semaine de la critique 2008 et nommé aux Césars en 2009), a fait le choix de donner chair au réel en composant personnages comme décors en images de synthèse, avant de les habiller d'un dessin traditionnel. Il multiplie les temporalités, offrant de beaux flash-back, mémoires d'un passé heureux ou parfois douloureux, autant à la main qu'au personnage de Naoufel. Faisant résonner les notions de destin, de volonté, de hasard, l’histoire aborde aussi des deux côtés les thèmes de la persévérance tout comme la notion de séparation.
Sublimement beau dans les passages de prise de risque, tendre et symbolique dans sa représentation donnant à la main des allures d’être à part entière (elle s’assoit pour écouter un aveugle jouant du piano, elle accompagne un grapheur ayant écrit « je suis là »…), ce récit amoureux de la vie et d’un autre être, accompagné d'une sublime musique signée Dan Levy, aborde le désir de complétude avec humour et poésie. On ne serait pas surpris s’il remportait la plus haute récompense au Festival d’Annecy.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur