IN THE FADE
Un triptyque d’un réalisme percutant et intensément captivant
Dans une prison allemande, Nuri sort de sa cellule tout sourire. Les autres détenus le congratule, puis il s’engage dans un couloir en dansant sur « My girl » de the Temptations. Dans une des salles de la prison l’attend Katja, à qui il va passer la bague au doigt. Sept ans plus tard, Nuri a purgé sa peine et le couple a un petit garçon de 6 ans : Rocco…
Il a commis quelques délits mineurs. Elle, est issue d’une famille rongée par l’alcoolisme paternel. Lui, est d’origine turque. Elle, des rives de la Mer du Nord. Nuri et Katja forment ce que l’on appelle un couple « mixte ». Mais c’est avant tout un couple heureux qui a surmonté les blessures et les erreurs de jeunesse pour vivre pleinement leur vie de famille avec leur fils Rocco. Mais un jour, tout s’arrête. Nuri et Rocco meurent suite à l'explosion d’une bombe qui leur était destinée.
Dans une Europe meurtrie entre les attentats sanglants de l’EI et les nationalismes exacerbés, il est de plus en plus difficile de savoir de quel côté cela risque d’exploser. C’est dans ce flou plus qu’obscur que Fatih Akin et son scénariste Hark Bohm ont écrit la terrible histoire de Katja. Pour cela, ils se sont librement inspirés du cas de Beate Zschäpe, une néo-nazie accusée d’avoir assassiné plusieurs citoyens turcs. Son procès a fait scandale car la police avait d’abord suspecté les victimes avant de se diriger vers la piste xénophobe.
Mais au-delà du message politique, Fatih Akin nous livre avant tout un film profondément humain où sont décortiquées toutes les phases de la souffrance et du deuil. Sans emphases ni voyeurisme, il aborde toutes les questions que se pose une femme qui a tout perdu, qu’elles soient rationnelles ou non. Une force de réalisme décuplée par une mise en scène construite comme un polar, voire un thriller. Découpé en triptyque, "In the fade" développe trois films en un et chacun excelle dans son genre. Certains trouveront peut-être les scènes de procès un peu trop sommaires (nous sommes en Allemagne où les procédures de justice sont nettement moins démonstratives qu’ailleurs) mais l’essentiel est là et la tension qui s’en dégage aussi.
Pour accentuer la force du drame qui se joue, Fatih Akin ponctue son film de quelques flash-back remémorant des moments de bonheurs partagés en famille. Des jolies respirations où se dévoilent les caractères des disparus. Rocco, le petit garçon, réussit en quelques dialogues bien écrits à nous émouvoir et le couple respire l’amour sans excès de démonstration. Une mise en scène savamment orchestrée qui vous captive dès la première scène pour ne plus vous lâcher. Un film puissant qui offre à Diane Kruger certainement un de ses plus beaux rôles. L’actrice, qui joue pour la première fois dans sa langue natale, semble totalement habitée par la souffrance de son personnage. Rien d’étonnant à ce que son prix d’interprétation au 70e Festival de Cannes ait fait l’unanimité auprès des festivaliers.
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur