ILLUSIONS PERDUES
Une adaptation de Balzac qui s’avère plus d’actualité que jamais
Employé dans une imprimerie de province, Lucien de Rubempré, 20 ans, poète ayant adopté le nom de sa mère, profite de sa protectrice Louise, une baronne, dont le mari jaloux la force à partir à Paris, pour tenter sa chance dans l’écriture. Il découvre alors le monde impitoyable de l’édition et de la critique, étendant au théâtre son intérêt, dans cette France du XIXème siècle où la réputation et la naissance font beaucoup…
Xavier Giannoli, brillant réalisateur de "A l’origine" et "L’apparition", deux films qui avaient déjà pour thème central le mensonge, n’avait fait qu’une seule incursion dans le film d’époque, avec la comédie amère "Marguerite", dans laquelle Catherine Frot recherchait la reconnaissance dans la chanson, son mari s’arrangeant pour qu’elle ait toujours un accueil positif alors qu’elle chantait faux. De faux-semblants et de manipulation il était déjà question dans ce film, et l’on voit bien en quoi "Illusions perdues" a pu intéresser l’auteur, qui en profite ici pour creuser deux de ses thèmes de prédilection : le mensonge et les apparences.
On craignait un film académique, tant l’ampleur du casting semblait imposante, et les moyens colossaux. Mais on se retrouve en réalité face à un chef-d’œuvre de subtilité, en prise directe avec l’actualité, montrant du doigt le journalisme complaisant, dénonçant la médiatisation des politiques ou le contrôle de la presse par des puissances financières, stigmatisant les égos des artistes comme des puissants, tout comme la vente de confiserie aux spectacles. Particulièrement fluide, la mise en scène de Xavier Giannoli nous positionne auprès du jeune héros, percevant avec bonheur le caractère grouillant d’une rédaction de journal parisien. Elle marie avec élégance une voix-off qui s’avère parfaitement complémentaire à l’action, amenant à la fois recul et détails croustillants, alors que se créent les fausses polémique, ou que se font et se défont les réputations en quelques instants ou quelques mots.
Satire du journalisme et de la critique en particulier l’œuvre d’Honoré de Balzac est ici transposées avec faste, ampleur et dynamisme, et le spectateur se retrouve régulièrement soufflé par la puissance de certains dialogues ou tirades. De « pour écrire une critique d’un livre, il vaut mieux ne pas l’avoir lu », à « je te baptise journaliste », en passant par « on peut toujours dire du mal, c’est juste une forme à prendre », le cynisme est souvent au rendez-vous, ponctuant d’un humour très noir, cette fresque prodigieuse. Y prennent part Gérard Depardieu, parfait en éditeur blasé, Vincent Lacoste en complice, Salomé Dewaels en actrice espérant le succès (une belle découverte), Jean François Stévenin en roublard vendeur d’applaudissements, ou encore Cécile De France en amoureuse ayant peur pour sa situation et Jeanne Balibar en marquise venimeuse.
Mais deux acteurs se détachent clairement du lot. Giannoli donne ainsi un rôle sur mesure au désormais incontournable Benjamin Voisin ("Été 85", "Été 85"), en poète naïf ballotté entre les intrigues de la cour et les manigances de la petite presse de l’époque. Et il offre surtout au passage un second rôle de poids à Xavier Dolan, qui tient la dragée haute au personnage principal, en tant qu’écrivain royaliste, rival malin mais éclairé (mais aussi en voix-off). Un film immense, en forme de récit initiatique cruel et passionnant, aussi doté de rebondissements que de moments de comédie.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur