IL NOUS RESTE LA COLÈRE
Une année de lutte très illustrative
Les ouvriers de l’usine Ford de Blanquefort avaient réussi, après une forte mobilisation, à sauver une première fois les 1000 emplois du site en 2011, alors de nouveau repris par Ford, après que le repreneur de 2009 ait échoué sur son projet lié à l’éolien. Mais en 2018, alors que le Groupe américain annonce à nouveau ne plus faire d’investissement sur le site, la perspective d’une fermeture oblige les ouvriers et syndicats à un nouveau rapport de force. Parmi les acteurs de cette année de combat pour sauver 850 emplois sur site (et 2000 de manière indirecte), il y avait notamment Philippe Poutou, récent candidat à l’élection présidentielle…
En annonçant dès le début du film, sur fond d’images des manifestations de début 2016 contre la Loi travail (dite Loi El Khomri), venue d’un gouvernement qui se dit de gauche, qui donnèrent naissance au mouvement Nuit Debout, leur intention de filmer l’écœurement des travailleurs, le réalisateur et la réalisatrice (qui filmaient déjà des conférences pour l’Univesité Populaire de Bordeaux et aussi les cortèges d’alors), avouent d’emblée le caractère aussi réfléchi que « spontané » de leur louable entreprise, précisant d’ailleurs même, plus tardivement, qu’ils « ne [sont] pas journalistes ». C’est donc autour de la nouvelle lutte des ouvriers de l’usine Ford de Blanquefort (en Nouvelle Aquitaine), mis face à l’annonce d’une probable fermeture pour septembre 2019, qu’ils vont tenter trouver du grain à moudre en suivant les protagonistes durant plus d’une année de lutte. Un combat qui prend alors la forme d’un récit chronologique peu incarné (on en saura très peu des situations individuelles des personnes ici investies...), le documentaire se centrant sur le mouvement collectif, ses divisions et ses espoirs.
Entre engagement forcé de l’État, discussions avec un repreneur belge qui veut revenir sur un maximum d’acquis sociaux, radicalisation et occupations, obstruction à la reprise par Ford, rien ne surprend plus, des auteurs comme Stéphane Brizé s’étant déjà emparé, en termes de fiction, et surtout de manière bien plus viscérale, de récits du même type (voir le film "En Guerre"). Reste que, comme le disent ici certains « personnages », une fois que « l’injustice a eu lieu » peu importent les démarches judiciaires (qui prennent jusqu’à 8 ou 10 ans avant d’obtenir « réparation »), le mal est fait. "Il nous reste la colère" se concentre donc logiquement sur l'avant fermeture et montre du doigt, dans une approche sans doute trop clinique, à la fois l'attitude « méprisante » de ceux qui se posent en « sauveurs » (alors qu’ils profitent de l’expérience et la qualification des ouvriers), le manque de courage de politiques disposant pourtant de leviers légaux et financiers considérables, mais aussi les possibilités de blocage arbitraires en termes de reprise du site par le propriétaire initial. Au final, l’écœurement annoncé est bel et bien décrit, mais le film peine à se distinguer au milieu de tous ceux qui ont déjà traité le même type de sujet, qu’il s’agisse de fictions ou de documentaires.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur