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L'IDÉAL

Tout est dans le slogan du film : « La beauté, c’est parfois moche »

Octave Parango (le concepteur-rédacteur de "99 francs") s’est exilé en Russie où il est devenu « model scout », c’est-à-dire dénicheur de mannequins, pour le compte d’un oligarque. Une grande firme française de cosmétiques, L’Idéal, fait appel à lui pour gérer un scandale médiatique d’ampleur internationale : il a une semaine pour trouver une perle rare destinée à devenir la nouvelle égérie qui rehaussera drastiquement l’image de la marque…

Pour son deuxième long métrage comme réalisateur après "L’amour dure trois ans", Frédéric Beigbeder s’attelle à nouveau à une adaptation d’un de ses romans. En s’attaquant à "Au secours pardon", la suite de "99 francs", il est face à un défi de taille en termes de mise en scène : passer après Jan Kounen, qui avait adapté le premier opus en 2007 avec Jean Dujardin dans le rôle principal. L’influence de Kounen (remercié au générique) est palpable mais Beigbeder ne tombe pas entièrement dans le piège du copié-collé. Il opte ainsi pour un style moins survolté et halluciné, sans renoncer pour autant aux excès des personnages et à tout ce que cela implique visuellement. Expert des dérives de la société de consommation, il dresse ainsi un panorama pertinent d’un monde dominé par le cynisme, l’outrance et la mégalomanie (avec pour climax les fêtes de l’oligarque russe).

L’écrivain-réalisateur ne crache pas sur les vulgarités, de la nudité à la drogue en passant par le bling-bling sous toutes ses formes. De temps à autre, on peut se demander s’il ne reste pas en partie fasciné par ce qu’il dénonce, un peu à la manière d’un réalisateur antimilitariste qui prendrait plaisir à filmer des scènes de guerre. C’est toute l’ambiguïté d’un propos cinématographique qui se veut plus ou moins engagé : comment filmer ce qu’on critique en le montrant ? Le syndrome de Stockholm artistique, en quelque sorte. Néanmoins, le discours est plutôt constant, tant dans les répliques que dans la façon dont sont traités les personnages, montrés comme des êtres avides et sans morale. L’un des principaux points forts réside dans la parodie acérée de L’Oréal, dévoilant efficacement les stratégies d’une telle multinationale, notamment à propos du story-telling et de l’auto-dépendance publicité/médias. C’est si réussi que c’est à peine caricaturé sur certains aspects et qu’on se demande presque si L’Oréal n’a pas fait du lobbying en sous-main pour étouffer l’existence de ce film, car sa promotion dans les médias a été relativement discrète !

Beigbeder est peut-être un poil plus ambigu sur la question du féminisme. S’il juge de façon corrosive la façon dont sont traitées à la fois les mannequins et les consommatrices de cosmétiques, il semble aussi prendre un malin plaisir à filmer de belles jeunes femmes plus ou moins dénudées. Quant au choix de Jonathan Lambert dans le rôle de Carine Wang, la directrice de L’Idéal, on peut se demander s’il ne révèle pas une forme de stéréotype hormonal qui voudrait que les femmes de pouvoir sont testostéronées, d’autant que le personnage d’Audrey Fleurot (l’autre femme forte du film) tombe lui aussi dans un double cliché possible : elle est froide et lesbienne, donc tient tête aux hommes (à moins que le rapport de cause à effet ne soit l’inverse, on ne sait plus trop avec les stéréotypes !). Mais d’autres aspects peuvent laisser penser qu’il y a au contraire, de la part de l’auteur, une volonté délibérée de se moquer des poncifs, par exemple lorsqu’il fait dire à Wang/Lambert (donc ironiquement) : « On n’a pas le même regard que vous, les hommes ». Ou quand il convoque (sans les nommer) les Pussy Riot puis les Femen pour bousculer le système, faisant ainsi dire à Octave, symbole d’un patriarcat chancelant : « C’est douloureux le féminisme ! »

Globalement, le film n’échappe pas totalement à l’impression de déjà-vu, ni aux irrégularités (de ton, de rythme, de scénario), ni à certaines facilités (notamment dans une fin un peu bancale voire bâclée, avec cette question de la paternité, quelque peu mielleuse, qui arrive comme un cheveu sur la soupe même si elle permet au personnage d’évoluer positivement). Toutefois, Beigbeder et son trio Proust-Fleurot-Lambert (mais aussi de bons personnages secondaires comme ceux de Vartolomei, Broche ou Niel) s’en sortent avec les honneurs et le spectateur passe plutôt un bon moment. On rit même à gorge déployée ça et là. La mocheté du monde, il faut parfois savoir en rire, et Beigbeder a participé à cette logique libératrice.

>>> En partenariat avec l'association EgaliGone

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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