I.D.
L'homme de nulle part
Frénétique, la caméra ouvre le film par un balayage de plans serrés. Un trafic surchargé, des livreurs qui déchargent multiples marchandises, des badauds par dizaines et, sur son balcon, Charu occupée à organiser une fête d’anniversaire. Dans l’effervescence du quartier, un homme marche sans attirer le regard. Un anonyme qui, quelques minutes plus tard s’écroulera dans le salon de la jeune fille un pinceau à la main. Cet accident, c’est la faute à pas de chance, une mauvaise chute que pourrait faire tout un chacun, mais qui ici, plonge un homme dans le coma et par conséquent dans un total anonymat.
Dans son portefeuille, pas de papiers mais une photo de femme, seule trace du passé de cet homme perdu dans l’ébullition d’une mégapole. Comme des millions d’autres, l’homme a quitté sa région natale pour survivre de petits boulots à Mumbai (anciennement Bombay). Au dessus de lui, des marchands de travail gèrent un business florissant où chaque ouvrier vit au jour le jour, rouage anonyme de la croissance exponentielle de la ville. Les employeurs ne s’encombrent pas de paperasses et au moindre problème déclinent toute responsabilité faute de preuve.
Les 30 premières minutes sont totalement captivantes. Portée par un montage dynamique, le récit se construit, précis et structuré au gré des déconvenues de Charu. Confrontée au lourd système de santé, la jeune fille, au premier abord si futile, s’implique à présent totalement. Elle fait tout son possible pour retrouver l’identité du peintre et ainsi prévenir ses proches de son accident. S’en suit alors une longue quête dans les bidonvilles de Mumbai, avec comme seule trace, la photo de l’inconnu sur son téléphone. Charu questionne, observe et récolte petit à petit de maigres indices.
Le film jusqu’ici si haletant perd alors de sa vigueur en s’attardant longuement sur cette démarche laborieuse. Régulièrement, la caméra devient subjective. Substituée à la photo du peintre, elle brosse une abondante galerie de portraits, miroir d’une population mise en marge de la société. Le propos sociologique prend alors toute la place et laisse le spectateur quelque peu sur sa faim. Kamal K.M. signe ainsi un premier film certes imparfait mais prometteur. Le style est déjà posé, ferme et efficace, tout comme la brillante prestation de l’actrice principale, Geetanjali Thapa. Sobre et impliquée, elle porte tout le film sur ses épaules en sachant justement garder la bonne distance entre émotion et civisme.
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur