I AM MOTHER
I am what I am…
Dans un futur indéterminé, l’humanité est éteinte. Mais un robot, « Mère» (« Mother » en VO), s’occupe d’une réserve de 63 000 embryons pour relancer la race humaine au sein d’un bunker autonome et ultra-technologique. « Mère» semble d’abord se contenter d’élever prudemment une unique fille, pour qui le monde extérieur reste inconnu…
Sortie le 07 juin 2019 sur Netflix
Avec ce huis clos australien post-apocalyptique, au cadre a priori restreint, il faut avouer que l’on redoute de s’ennuyer rapidement. Comment tenir près de deux heures avec un robot et une jeune fille dans une sorte d’immense bunker-laboratoire ? Après avoir patiemment (et efficacement) construit ses personnages, Grant Sputore, qui livre là son premier long métrage, fait émerger progressivement une réflexion pertinente sur l’humanité et diverses questions existentielles ou éthiques.
Il met notamment le public et ses personnages face à l’illusion de la perfection, tant pour les humains que pour les intelligences artificielles. De façon frontale ou sous-jacente, le film interroge aussi les questions de liberté et d‘individualité, de solidarité et de bénéfice commun, ou encore de confiance, avec quelques références explicites, dans les dialogues, à certains philosophes.
Le réalisateur met en place une tension croissante, confrontant le personnage incarné par Clara Rugaard (une jeune actrice à suivre, clairement !) à des choix cornéliens, l’obligeant à développer sa personnalité, son esprit critique, sa curiosité, et tout simplement sa soif d’humanité. Car un robot, aussi affectueux soit-il, ne peut remplacer le contact humain. D’ailleurs, l’absence de prénoms pour les protagonistes souligne la froideur déshumanisante de ce supposé « centre de repeuplement » dans lequel se déroule l’histoire – son décor clinique faisant implicitement référence aux idéologies eugénistes développant le concept de pureté, auxquelles renvoient également certaines répliques de « Mère ».
Plus métaphoriquement, c’est bien un récit initiatique auquel on assiste, avec la prise progressive d’indépendance de la jeune fille par rapport à sa mère. C’est d’autant plus nécessaire pour le personnage que « Mère » a décidé de façon mystérieuse de ne faire grandir qu’un embryon de l’immense stock dont elle a la charge, développant ainsi une relation mère-fille exclusive qui a tout pour devenir toxique !
S’il y a quelques coups de mou dans la réalisation et quelques passages moins inspirés, l’ensemble est à la hauteur du projet et tient plutôt la route, avec une certaine capacité à manipuler le public pour mieux le surprendre. La fin, quant à elle, peut laisser perplexe. Reste à la comprendre et à en estimer la cohérence…
Attention, spoiler : il est fortement recommandé de ne lire la fin de cette critique qu’après avoir vu le film !
À un moment du récit, « Fille » ouvre un tiroir et découvre un dossier qui lui fait comprendre qu’elle n’est pas le premier embryon auquel « Mère » a donné vie, ce qui est ensuite confirmé lorsqu’elle remarque qu’il manque trois embryons féminins dans la réserve : deux autres l’ont donc précédée. Elle retrouve ensuite les restes de mâchoire d’une fillette dans l’incinérateur : « Mère » l’a assassinée après l’avoir considérée comme un échec car trop éloignée des standards de perfection qu’elle espérait. Deux indices pouvaient permettre d’anticiper cette séquence.
Le film s’ouvre avec un texte indiquant que l’histoire commence au premier jour après l’extinction. Après une série d’ellipses montrant la jeune fille à plusieurs âges, un nouveau texte informe que 13 867 jours se sont écoulés depuis l’extinction et que la population humaine est toujours égale à 1. Si l’on y prête attention, il est donc déjà certain à ce moment-là que « Fille » est au moins la deuxième, car elle semble avoir environ 18-20 ans, alors que le nombre de jours indique que presque 38 ans se sont écoulés depuis la première naissance !
Un deuxième indice réside dans la sorte de matricule qui identifie « Fille » dans les examens que « Mère » lui fait passer : APX03. Il est assez facile d’imaginer que ce chiffre n’est pas un hasard. Le dossier qu’elle découvre ensuite comporte la mention APX02 et la photo correspond à l’enfant que l’on a vu plus tôt dans le film. Après avoir donc brouillé les pistes, le réalisateur nous fait comprendre que le bébé du début est en fait APX01, que l’enfant est APX02 et que l’on n’a en fait jamais vu APX03 à un autre âge depuis le commencement !
Reste alors une question : APX01 a-t-elle subi le même sort qu’APX02 ? La réponse est assez simple : 38 ans semblent correspondre à l’âge de la femme incarnée par Hilary Swank. Cette hypothèse est confirmée à demi-mot par « Mère » dans l’avant-dernière scène du film lorsqu’elle retrouve la femme et lui dit : « Vous souvenez-vous de votre mère ? C’est étrange, non ? Que vous ayez survécu si longtemps et les autres pas. Comme si on vous avait donné un but. Jusqu’à maintenant. »
Avec ce monologue, tout se recompose : « Mère » a volontairement abandonné APX01 qui a été recueillie par les derniers survivants, que les robots ont ensuite progressivement massacrés – au passage, la date de l’extinction annoncée au début est donc un mensonge s’il y avait encore des humains pour l’élever après cette date, mais « Mère » n’en est pas à un mensonge près !
Quant au « but » évoqué par « Mère », c’est plus flou et plus libre en termes d’interprétation. Comme elle vient d’accepter dans la séquence précédente de laisser « Fille » prendre en charge son frère et les embryons (et donc la renaissance de la race humaine), on peut faire l’hypothèse qu’elle avait considéré que la rencontre avec APX01 était nécessaire pour compléter humainement la « formation » de sa « fille parfaite ». D’autre part, il est fort probable que « Mère » tue la femme après la réplique rappelée ci-dessus.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur