HYENA
Nihilisme électrique
Vous l’aimez comment, votre polar ? Noir, serré et sans sucre, comme votre café du matin ? Que ce soit le cas ou pas, "Hyena" procure le même effet secondaire, diabolique au demeurant. Celui d’investir un univers nihiliste en diable, où flics corrompus et truands sadiques se rongent les os, tous pourris jusqu’à la moelle. A priori, rien de neuf sous le ciel étoilé du polar hardcore installé dans le milieu du gangstérisme, surtout depuis que William Friedkin ("French Connection") et Nicolas Winding Refn (la trilogie "Pusher") ont tracé la voie pour les productions suivantes.
C’est très précisément des deux œuvres précitées que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de "Hyena" : d’abord parce que le réalisme brut et la violence sauvage du résultat s’inscrivent dans la même lignée, ensuite parce que la mise en scène combine magistralement l’esthétisme radical de Refn au degré de réalisme nihiliste recherché par Friedkin, enfin parce que l’adoubement du film par Refn lui-même (« J’ai vu l’avenir du polar ! ») laissait penser que l’essai de "Pusher" pouvait être transformé.
Les dérivés de "Pusher" se comptent désormais tellement par douzaines qu’il est devenu si facile de guetter le plagiat – voir le récent "Dealer" de Jean-Luc Herbulot. En signant ici son second long-métrage après le méconnu "Tony", Gerard Johnson vise davantage la prolongation sous speed que le décalque sous amphètes. Plus question de suivre la descente aux enfers d’un petit dealer sur une journée riche en galères imprévisibles, mais au contraire d’incarner la psyché borderline d’un ripou londonien (Peter Ferdinando, sosie quasi parfait de Gerard Butler) à des fins graphiques et sensitives.
Le ton est d’ailleurs donné dès la sidérante scène d’ouverture, quasi muette et entièrement musicale, qui suit au ralenti le saccage d’un dance-floor bleu néon par le flic précité et ses trois collègues encore plus défoncés que lui. La suite du métrage est au diapason, surchargée de violence tantôt intériorisée tantôt explosive, au sein d’une narration tenue diaboliquement en rythme par un tournage caméra à l’épaule qui se colle à la nuque de son protagoniste façon Super Glue.
Ici, pas de demi-mesure : les policiers – même les plus zélés – ne pensent qu’à leur pomme et les gangsters réfutent le moindre doute d’une bonne vingtaine de coups de machette. Des deux côtés ne s’installe qu’une seule règle : cacher son jeu. Le film a beau recycler des figures familières de cette catégorie de polar sans concessions (flics ripoux et violents, truands baraqués et barbares, prostituées en détresse, etc.), Johnson n’en fait jamais des clichés et soigne leur psychologie lorsqu’il ne se contente pas du relief quasi iconique que certains peuvent incarner – surtout les méchants. Des figures sauvages et viscérales qui arpentent un polar terrible, électrisant dans son nihilisme, oscillant entre la chute sociale, le trip sous adrénaline et la pure descente aux enfers psychologique.
Pas d’espoir possible, juste une rupture sèche qui ne laisse qu’une profonde amertume, néanmoins fascinante de par la virtuosité de la mise en scène de Johnson. D’où un épilogue fracassant que l’on ne dévoilera surtout pas, mais si couillu dans sa quête de frustration qu’il sonne à lui tout seul le glas du genre. Oui, "Hyena" est un choc. Vous ne risquez pas de l’oublier.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur