L'HOMME D'À CÔTÉ
Deux fenêtres et un monde les séparent
Leonardo est un designer de renom qui vit avec sa femme et sa fille dans la demeure Curutchet pensée par Le Corbusier. Un matin, il découvre que son nouveau voisin a décidé de casser son propre mur pour y placer une fenêtre donnant directement sur le living room de Leonardo…
Grand gagnant à l’Académie des Arts et des Sciences Cinématographiques d’Argentine et lauréat du prix du public au dernier festival de Sundance, « L’Homme d’à côté » se dévoile comme une savoureuse comédie noire sur le repli des milieux sociaux en Argentine. A partir d’une simple querelle de voisinage qui pourrait sembler anodine, les réalisateurs parviennent à méthodiquement construire une stimulante tension et un délicieux suspense.
Cela étant, la plus grande force de cette captivante comédie reste tout le travail d’écriture et de composition de ses deux personnages principaux. L’un est l’archétype même de la bourgeoisie se croyant au-dessus de la plèbe. Designer de renom et résidant dans une demeure qui reste un exemple pour tout architecte, Leonardo se donne le droit d’humilier ses élèves alors qu’il est incapable de se faire respecter au sein de sa propre famille. Son voisin, lui aussi, lui donne du fil à retordre. Il est à l’exact opposé de Leonardo. Sorte de brute épaisse, simple, direct et ne s’embarrassant pas de courbettes, Victor est un homme d’un milieu social largement plus populaire et n’hésite pas à user d’un humour plutôt intimidant, laissant planer la menace d'une violence sous-jacente. Les confrontations entre les deux individus sont, à ce titre, absolument irrésistibles, et les deux acteurs se débarrassent avec brio des stéréotypes de leurs personnages pour laisser émerger des côtés assez inattendus de leurs personnalités. Daniel Araoz est magistral dans le rendu des changements d’humeur de son Victor, tour à tour inquiétant, amical, attendrissant et drôle. Bref, c’est finement joué et finement écrit.
Grâce à une mise en scène précise et sans fioriture, usant de la sublime et torturée demeure de Le Corbusier, les deux réalisateurs parviennent à rendre une atmosphère dont la tension, à peine palpable de prime à bord, se révèle sous-jacente à bien des occasions. Au final, Gaston Duprat et Mariano Cohn offrent avec cette, simple mais très efficace, histoire de querelle de voisinage une brillante critique de la société argentine, désormais divisée entre sa classe populaire et sa population aisée. « L’Homme d’à côté » révèle à quel point l’arrogance peut occuper l’esprit et le temps, mais surtout, dans quelles mesures le repli individualiste peut devenir dangereux.
Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur