HOLD-UP
Fourre-tout, indigeste et incohérent : énième symptôme d’un monde qui va mal !
La pandémie de Covid-19 et la gestion de cette crise cacheraient-elles des secrets inavouables ?…
Sortie le 11 novembre 2020 en VOD
Ce film ne sert qu’à une seule chose : confirmer, si besoin était, que nous vivons une période trouble. Tellement trouble qu’un métrage aussi long, mauvais et indigeste a réussi à captiver des milliers de personnes, aveuglant même des gens qui n’avaient auparavant jamais été réceptifs à des discours complotistes ! C’est dire la détresse humaine collective que nous vivons, dans ce climat d’incertitude alimenté par un faisceau d’incompréhensions, d’inconnues scientifiques, et de discours et décisions faisant preuve de contradictions, de manque de clarté et de transparence insuffisante… Bref, notre présent est tellement flou qu’il ouvre la porte à toutes sortes de théories farfelues et de paranoïas en tout genre, prenant le relai d’une accélération déjà constatée depuis le début de ce siècle en termes de complotisme et de fake news, dont Trump (qualifié de « président qui rassure » !) et consorts sont si friands.
Nous ne reviendrons pas en détail sur les indispensables décryptages du contenu de ce pseudo-documentaire, car d’autres sites de qualité ont déjà fait ce boulot magistral de vérification, démont(r)ant les mensonges et autres approximations dont ce film est généreusement garni. Notons toutefois que, quand on a besoin de faire autant de démarches pour vérifier la fiabilité d’un documentaire et de ses intervenants, c’est déjà louche en soi !
En revanche, essayons d’analyser ce film « cinématographiquement ». Les guillemets sont de mise car c’est loin d’être du cinéma : le style tient plus du mauvais reportage à sensation digne des émissions les plus aguicheuses du PAF. D’une certaine façon, c’est cohérent avec les expériences télévisuelles de Pierre Barnérias, même si le réalisateur n’a pas forcément œuvré dans les pires émissions ("Envoyé spécial", "Zone interdite"…). En tout cas, sur Abus de Ciné, on n’a pas attendu "Hold-up" pour être circonspects vis-à-vis de ses documentaires : à l’exception de "Sous peine d’innocence", il n’a guère convaincu avec ses occultes "M et le 3ème secret" et "Thanatos, l’ultime passage".
Quand on observe le parcours – personnel et professionnel – de Pierre Barnérias, on décèle deux constantes : une fascination pour diverses formes de croyances (rappelons que les théories du complot en sont une) et une certaine haine des « sachants ». Entendons-nous bien : dans l’absolu, croire n’est pas une tare. Mais quand les croyances affectent à ce point le jugement et conduisent à un tel rejet du savoir, c’est inquiétant et néfaste. Or, "Hold-up" n’est que ça : non pas des doutes mais de la méfiance déraisonnée ; non pas une soif de vérité mais une négation pure et simple de l’esprit critique. En fait ce film perd toute vraisemblance dès qu’on s’aperçoit qu’il réalise un véritable exploit en affirmant tout et son contraire : le danger du Covid-19 serait amplifié artificiellement pour effrayer et contrôler la population… mais les précautions prises ont été insuffisantes (citant par exemple les pénuries de masques) ce virus aurait même été créé dans le seul but d’exterminer une partie de l’humanité ! Il faudrait savoir : c’est un virus inoffensif ou une arme de génocide ?
Ce film est un cas d’école pour qui veut comprendre les logiques complotistes et/ou fascisantes. La tactique principale est souvent la même : dénigrer d’abord pour décrédibiliser par avance toute tentative de dénigrement inverse de la part du camp adverse ! Ainsi, les accusations de mensonges, de dissimulations et de manipulations sont répétées à tout-va pour éviter de retourner ces mêmes accusations contre le film et ses intervenants. Cette technique, typique du complotisme, est bien connue et c’est très pratique pour les défenseurs de ces théories : dès lors que quelqu’un essaie de les contrer, il est automatiquement traité d’ennemi du peuple et de la vérité. L’un des intervenants parle ironiquement de cherry-picking alors que lui-même et le film dans son entièreté sont de parfaites illustrations de ce type d’argumentation tenant du biais de confirmation. De même, il est cocasse d’entendre un autre interviewé faire un parallèle entre les dogmes scientifiques et religieux avec une définition qui s’applique pourtant très bien au film auquel il participe : « par définition, une religion, c’est quelque chose dont on ne remet pas en cause les principes » !
La même logique est appliquée à la peur et la psychose : alors que ce soi-disant documentaire est truffé d’idées paranoïaques et délivre une vision atrocement effrayante du monde, il affirme que les élites (politiques, économiques, médiatiques ou scientifiques) terrifient sciemment la population pour servir des objectifs mal intentionnés. Sur ce point, on atteint facilement le point Godwin, ce qui est tristement ironique quand on constate le nombre d’intervenants gravitant autour de diverses mouvances d’extrême droite qui n’ont donc rien de démocrates (QAnon par exemple). Intentionnellement ou non, le film se place donc bien du côté de l’infâme « réinformation », ce concept trompeur qui n’est en fait rien de plus que de la désinformation maquillée.
"Hold-up" peut donc tranquillement dérouler son cycle infernal : contradictions, évaluations au doigt mouillé, affirmations prétentieuses, présentations hasardeuses, faits et citations sortis de leur contexte, et autres idées baroques, le tout baigné par des musiques dramatisantes... Le public est forcément noyé par cette accumulation et, avec la moindre faiblesse affectant le jugement (ce qui est aisé en ces temps d’incertitudes et de ras-le-bol), le voilà happé, le voilà qu’il plonge, le voilà qu’il oublie toute forme d’esprit critique en pensant au contraire l’avoir aiguisé comme jamais ! Ce film joue ainsi de manière pernicieuse avec la peur, la détresse, la colère et l’ignorance de cette « population désorientée » qu’il prétend défendre.
Autre technique courante des complotistes ou de la fachosphère : l’absence de hiérarchisation. Cela concerne la médiocre organisation du film et l’argumentation boiteuse, mais aussi la façon dont les paroles sont mises au même niveau, des scientifiques (dont beaucoup sont fortement désavoués par leur communauté) aux charlatans en tout genre, en passant par les experts autoproclamés et les chauffeurs de taxi et autres gens lambda interrogés en mode micro-trottoir !
Certains défenseurs du film prétendent admettre qu’il contient des défauts et des contre-vérités tout en insistant sur le fait qu’il délivre aussi des faits et interrogations justes et pertinents. C’est possible. Mais tout cela est englouti dans un magma de délires et de mystifications. Imaginons qu'un éditeur publie un dictionnaire truffé de néologismes et de définitions erronées : le défendrait-on sous prétexte qu'il contiendrait aussi des savoirs corrects ? Évidemment que non, car un tel ouvrage serait la conséquence d’un manque de professionnalisme et/ou d’une volonté délibérée de tromper le lectorat. "Hold-up" s'apparente à cela.
Ce pseudo-documentaire aurait pu se contenter de poser des (bonnes) questions, puisqu’il y a effectivement, depuis des mois, des dysfonctionnements, des inconnues, des doutes, des débats… Il aurait aussi pu se faire le catalogue des idées farfelues sans prendre parti. Mais ce film se révèle à la fois immodeste et naïf, prétendant apporter des réponses péremptoires et quasi définitives à des faits complexes que le réalisateur ne semble pas capable de comprendre lui-même, comme le confirme la narration : « moi aussi, je suis perdu » ! Plus drôle encore : « J’ai le vertige : comment des hommes peuvent-ils imaginer des scénarios aussi tordus ? » À croire qu’il parle de son propre film à l’écriture si bancale et des intervenants aux idées si spécieuses !
Durant le générique de fin, le film se clôt avec un des passages les plus hallucinants, qui en dit long sur la fiabilité zéro du métrage, avec une supposée profileuse qui tient plus de la cartomancienne sous acide ou du gourou de secte. Au final, c’est à la fois affligeant et alarmant de constater qu’autant de personnes ont été hameçonnées par ce pseudo-documentaire…
À noter : contrairement à ce qui peut être lu ça et là sur internet, le film "Hold Up" n’a jamais été censuré par les autorités, mais il a en effet retiré par la plateforme VOD Vimeo. Une version « actualisée » et « augmentée » est indiquée comme en préparation sur le site officiel du film...
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
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COMMENTAIRES
Kami
mercredi 13 janvier - 11h40
Critique aussi biaisée que le film, qui préfère jeter le bébé avec l'eau du bain. Mais c'est vrai que c'est beaucoup moins terrifiant de se mettre la tête dans le sable et de bêler avec le troupeau...