HITCHCOCK
Le maître du suspens en proie aux doutes
En 1959, Alfred Hitchcock est au sommet de sa carrière hollywoodienne. Il vient de réaliser un de ses plus grands succès « La mort aux trousses », et pourtant certaines voix s’élèvent déjà pour le classer dans un registre désormais classique. Une nouvelle vague voit le jour et quelques noms commencent timidement à lui faire de l’ombre. En bon maitre du suspens, le réalisateur surprend alors son public en réalisant « Psychose ». Un thriller inspiré des crimes commis par le serial killer Ed Gein, qui vouait un tel culte à sa mère castratrice, qu’il dépeçait des cadavres pour se coudre un habit de femme. Lâché par la Paramount sur un tel sujet, Hitchcock doit user de tout son talent pour réaliser à moindre coût, un film novateur sur bien des plans.
C’est cette année charnière dans la carrière du cinéaste britannique que Sacha Gervasi décide de nous conter. Didactique, il évoque avec une mise en scène ingénieuse toutes les étapes de conception du film. De la gestation à la promotion de « Psychose », on accompagne Hitchcock dans les méandres du système autant que dans ceux de son esprit prolifique. Pour rendre hommage au maître, le réalisateur peaufine jusqu’au moindre détail. Il pare son film d’une élégante ambiance fifties avec tous les ingrédients du genre : un voyage en décapotable sur une route côtière baignée de soleil, des actrices sublimes, un intérieur pastel…
Rien ne dit que Sacha Gervasi apparaisse dans une scène comme notre cher Alfred en avait l’habitude (son physique n’étant pas si reconnaissable). Néanmoins, il ponctue son film de petites références à « Psychose » qui feront le bonheur des cinéphiles. Pour exemples, les « Kandy Korn » que Scarlett Johansson ramène à sa fille, sont les mêmes bonbons que machouille frénétiquement Norman Bates (alias Anthony Perkins) dans l’original ; et Anthony Hopkins, alors agacé, fait voler une ampoule d’un geste brusque de la main, exactement comme Vera Miles, quand elle découvre horrifiée, le cadavre de la mère dans la cave.
À l’inverse, les puristes pourront déceler dans le récit quelques libertés qui ne retranscrivent pas exactement la réalité. La mythique scène de la douche a demandé près d’une semaine de préparation et non pas quelques minutes d’improvisation comme le propose Gervasi. En effet, pour l’intérêt de son film à lui, le réalisateur se laisse aller à quelques interprétations romanesques, pour servir un propos plus intimiste : l’exceptionnelle osmose qui unit « Hitch » à son épouse Alma Reville. Nés à un jour d’écart, le couple britannique formera un des plus grands duo du cinéma. Scénariste, Alma décelait les moindres défauts de narration et apportait un regard avisé sur l’élaboration des films de son prestigieux mari. Un amour sans faille qui pourtant connaitra quelques troubles.
« Hitchcock » n’est pas le portrait d’un seul homme, il met aussi en lumière cette femme extraordinaire qui partageait sa vie. Avec un flegme So British, le couple se plait à converser de façon savoureusement ironique. Les répliques incisives et posées fusent, portées par la merveilleuse diction d’Anthony Hopkins et d’Helen Mirren. Sublime, l’actrice de 67 ans efface totalement la présence des deux sex-symbol que sont Scarlett Johansson et Jessica Biel (pourtant excellentes). Alors qu’Hopkins, engoncé dans le surpoids de son modèle, développe son jeu au travers de toute une palette de mimiques faciales soulignant au mieux sa verve caustique. Ajoutons à cela la prestance impassible de Toni Collette en assistante dévouée et nous voilà définitivement conquis. Film hommage, « Hitchcock » ne se contente pas de décrire la vie de son personnage, il s’imprègne aussi de son style soigné, efficace et savoureusement drôle… Jubilatoire !
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur