Festival Que du feu 2024 encart

HER SMELL

Un film de Alex Ross Perry

Au bord du gouffre, au-delà de l’excès

Le groupe de rock féminin « Something She » a eu son heure de gloire dans les années 90. Mais alors qu’une tournée nationale est lancée sur les chapeaux de roues, Becky, la chanteuse du groupe, plonge dans la drogue et les excès en tous genres, mettant ainsi tout son entourage dans l’embarras. Est-il encore possible de retrouver le succès et de remonter la pente ?

Her smell film image

La bande-annonce de ce film nous donnait presque l’impression d’assister à un nouveau drame grungy inspiré du destin d’un groupe de rock féminin proche des Runaways, à l’image du film éponyme de Floria Sigismondi sorti en 2010. Fausse alerte, bien sûr, mais pas tant que ça : dès les cinq premières minutes de "Her Smell", en voyant Elisabeth Moss incarner les divas du rock sur scène et se la jouer borderline en coulisses, on sent que la suite des festivités va consister à capturer la fragilité du groupe face à l’attitude d’un de ses membres (avec, dans le viseur, la drogue et/ou les aléas de la célébrité). La différence, pour le coup fondamentale, c’est que dans "Les Runaways", les personnages de rockeuses jouées par Kristen Stewart et Dakota Fanning, au-delà d’incarner l’esprit féministe d’une époque, savaient se montrer habitées et attachantes. Or, chez celui incarné par l’actrice de la série "La servante écarlate (The Handmaid’s Tale)", le premier adjectif écrabouille totalement le second. Sans que l’on sache si l’abus d’hystérie et de frasques punk était sensé épauler ou réanimer une narration plus ou moins apathique, l’absence d’empathie envers une héroïne aussi odieuse et d’intérêt pour tous ceux qui l’entourent nous reste vite en travers de la gorge. Et le film lui-même, déjà trop linéaire dans son principe narratif, brûle trop vite les ailes de ce qui aurait pu être son atout.

Structuré en cinq parties d’une durée sensiblement égale, le scénario se résume à une poignée de blocs scéniques, ordonnés selon les codes du huis clos (beaucoup d’intérieurs ici) et élaborant peu à peu une ambiance clairement anxiogène. Un choix idéal pour suivre de façon assez détaillée le délitement d’un rapport social, mais qui rame à l’incarner par des choix d’axe et de cadrage (la caméra se contente ici de suivre le show d’une actrice, et basta). Même verdict sur le groupe en lui-même, fatalement éclaté et sacrifié par la narration : celle-ci délaisse vite l’arc dramatique des seconds rôles, lesquels finissent par n’être que des satellites autour de la chanteuse – Amber Heard et Cara Delevingne n’ont ici rien à défendre. Et le punk, alors ? C’est le sujet de fond, certes, et on y pioche même un point de vue pas inintéressant : agir de façon aussi bête et autodestructrice n’est-il pas le meilleur moyen d’honorer la pensée anticonformiste revendiquée par le punk-rock ? Le problème vient du regard du réalisateur : pas satirique ni entriste pour un sou (n’est pas Verhoeven qui veut), pas assez frontal et déchirant dans sa partition rédemptrice (n’est pas Ferrara qui veut), mais surtout jamais clair dans son choix d’un parti pris censé révéler de l’inédit sur un état d’esprit à cheval entre fibre rebelle et nihilisme buté. Au final, le film est moins ambigu que le cul entre deux chaises : il est souvent pénible à regarder (ce n’est pas un compliment) et il traite tout à l’emporte-pièce (ça pourrait en être un).

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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