HAUT ET FORT
POUR : L’énergie communicative d’une jeunesse éprise de liberté
Au volant de sa voiture, perdu dans les rues de Casablanca, loin du centre-ville, Anas peine à trouver l’établissement culturel où il a rendez-vous. Professeur de musique, il arrive pour reprendre les cours d’une classe abandonnée et va redonner espoir à une catégorie de jeunes en mal de liberté…
Quand on pense aux personnes les plus importantes qui ont marqué notre jeunesse ou influencé nos vies, en dehors de notre famille… on pense naturellement aux instituteurs, aux professeurs ou aux enseignants à l’université. Bref à ceux qui nous ont transmis des valeurs, fait découvrir le monde à travers leurs yeux éclairés, donné du courage pour penser par nous-mêmes, etc. C’est un peu cet hommage qui est rendu dans "Haut et fort", le nouveau film de Nabil Ayouch, réalisateur marocain de "Les Chevaux de Dieu" et dernièrement "Razzia". En mettant en scène un professeur de hip-hop et sa classe de jeunes qu’il pousse à se révolter, Nabil Ayouch renvoie au cultissime "Le Cercle des poètes disparus" en remplaçant l’inoubliable Robin Williams en professeur de littérature et de poésie face aux diktats de la pensée unique par le jeune Anas qui apprend à sa classe le chant et le hip-hop face au poids de la religion et des traditions. Et si les deux films ne se déroulent ni dans le même pays, ni à la même époque, ni avec les mêmes enjeux sociétaux, les intentions sont les mêmes : faire comprendre à la jeunesse qu’elle a les cartes en main pour célébrer la vie, l’embrasser corps et âmes, librement, sans les chaînes mentales ou sociales qu’on veut bien parfois lui imposer.
C’est donc un nouveau film engagé pour le réalisateur de "Much loved", ce film qui avait été censuré au Maroc. Nabil Ayouch reprend donc les armes avec "Haut et fort" et dénonce l’intégrisme de certains musulmans, le poids de la religion dans l’éducation, la place de la femme dans la société marocaine… tout en appelant la jeunesse de son pays à ne jamais baisser la tête ou les bras, à continuer à s’exprimer, à prendre le micro et à chanter la vie. Son film multiplie peut-être un peu trop les genres cinématographiques. Film politique, documentaire sociétal, comédie musicale, Nabil Ayouch se perd un peu même si on sent bien qu’il semble vouloir, avant tout, prendre du plaisir et divertir son public tout en faisant passer ses messages. Ainsi, la scène référence à "West side story" où deux clans se font face, ceux qui luttent pour la liberté d’expression et ceux qui prêchent pour un respect des dogmes religieux, est tout à la fois musicale, entraînante, hyper chorégraphiée, mais sur le fond éminemment sociale et politique. Par ailleurs, Nabil Ayouch s’appuie sur des comédiens non professionnels qui donnent une vie presque documentaire à son histoire. Ces jeunes, qui souvent semblent brillamment improviser devant la caméra, sont exceptionnels et communiquent talentueusement leur énergie qui crie haut et fort leur besoin de liberté.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteurS’il est né à Paris, Nabil Ayouch préfère poser sa caméra au Maroc, pays qu’il continue de disséquer de films en films, apposant un regard critique sur une société dont le poids des traditions mérite en effet que l’on s’y attarde. Après "Les Chevaux de Dieu", le cinéaste a une nouvelle fois planté le décor de son intrigue dans un des quartiers pauvres de Casablanca, Sidi Moumen. Là-bas, son objectif suit Anas, un ancien rappeur converti en professeur d’un centre culturel. Anas Basbousi joue Anas, ses élèves interprètent les étudiants du film, sa salle de classe fait office de toile au fond au métrage. La frontière entre réalité et fiction se brouille, mais "Haut et Fort" est bien une vraie fiction, se servant du medium cinématographique pour exalter ses revendications et parcourir les obsessions de son auteur (endoctrinement religieux et patriarcat notamment).
Si ce croisement entre "Le Cercle des poètes disparus" et "Entre les murs", saupoudré un peu de "8 miles", a eu le mérite d’enthousiasmer le Festival de Cannes de par son énergie, le résultat brouillon a quelque peu annihilé la véhémence du propos. Succession de saynètes musicales, le film tombe rapidement dans la sur-explication, rajoutant aux lyrics pourtant explicites des débats sans fin sur les maux du pays. Dans cet atelier artistique où la bonne méthode de l’humiliation a toujours cours - drôle d’ironie d’ailleurs – le hip-hop est aussi bien un moyen d’expression pour ces adolescents écrasés par leur milieu social et les legs du passé qu’une véritable arme contre l’obscurantisme. Montrer une révolte à travers l’art aurait pu et dû nous faire vibrer, mais l’aspect trop démonstratif de l’ensemble nous a tristement cloué au siège, ne réussissant pas à transmettre sa fougue et sa rage. Malgré l’évidence narrative et la proximité avec les thèmes de Spike Lee, l’absence de Nabil Ayouch au palmarès est tout sauf une surprise.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur