GUERMANTES
Le spectre d’Out
A l’été 2020, une troupe de théâtre menée par Christophe Honoré, qui répète une pièce de Marcel Proust, apprend subitement que le spectacle est annulé. Malgré tout, elle décide de continuer à jouer, pour la beauté du geste et le plaisir d’être ensemble dans un contexte de confinement…
D’entrée, on va laisser de côté l’éternel charabia sur le trouble fiction/documentaire, sur lequel tant de critiques ne vont pas manquer, en découvrant "Guermantes", d’épier l’entre-deux, de malaxer la pâte à exégèse ou de dénicher un quelconque signe de liberté artistique là où il ne réside pas. On ne va pas non plus faire l’affront de rapprocher la chose des deux films de Jacques Rivette auxquels on pense en le découvrant, à savoir "L’Amour fou" et "Out 1", dans la mesure où cette captation d’une troupe de théâtre au travail n’obéit ni aux mêmes enjeux ni aux mêmes procédés de stimulation. Mais en revanche, on n’hésitera pas à pousser un coup de gueule contre un Christophe Honoré qui, une fois encore, n’a pas pu s’empêcher de prolonger son décalque vain et grisâtre des schémas conceptuels de la Nouvelle Vague.
Quand bien même tous ses précédents films (hormis "Métamorphoses" et "Chambre 212") ont déjà démontré à quel point l’exercice était aussi vain que vaniteux, rien n’y fait : Honoré continue son petit bonhomme de chemin. Après avoir lorgné du côté de Truffaut et de Rohmer, c’est donc cette fois-ci sur le versant rivettien qu’il a posé sa caméra, la crise sanitaire lui ayant visiblement donné une super idée pour célébrer le pouvoir de la création. Mais comme tout est bidon(né) et que toute forme d’incarnation a été vérolée, on passe 2h19 avec l’envie irrépressible de revoir un bon Michael Bay en DVD.
Pour schématiser la chose, le confinement – à la fois celui qui a eu lieu et celui qui surgit de nouveau – pousse ici une troupe à bout de nerfs à transformer l’absurdité de leur situation (l’annulation d’une pièce qu’ils répètent depuis plusieurs semaines) en un moteur créatif. Mais si le vieil adage « créer pour ne pas subir » est ici mis en application, encore faut-il se demander ce qui a été « créé » pour valoir le coup d’accoucher d’un film pareil. Or, la captation s’en tient à dérouler le petit Honoré illustré : des bavardages filmés à distance dans des décors vides et sous-éclairés, une qualité d’image indigne d’un téléfilm de France 3, une captation de Proust qui cache la dimension proustienne sous le paillasson dès qu’il s’agit de l’incarner par des idées de mise en scène (ici inexistantes), et bien sûr, une armada de corps (surtout masculins) qui se dénudent et s’entremêlent pour que le désir sexuel soit mis en égalité avec le fait de former une troupe soudée (c’est en tout cas notre interprétation). En gros, Honoré torche à nouveau un petit film ni fait ni à faire dans son coin, mais sans penser à ceux à qui il était destiné. En sortant bouleversé il y a quelques années de la projection de "Chambre 212", on avait eu l’espoir de voir son cinéma enfin habité et transcendé. On se trompait.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur