THE GREEN INFERNO
Au menu ce soir : de la viande (très) saignante…
Justine, étudiante, décide de se joindre à un groupe d’activistes new-yorkais, pour un voyage en Amazonie, censé effectuer des actions militantes pour révéler au grand jour la déforestation illégale pratiquée par une société illégale. Mais au cours du voyage, l’avion s’écrase violemment en pleine jungle et les quelques survivants de l’équipe se retrouvent prisonniers d’une tribu cannibale aux intentions plus qu’hostiles…
Sortie en E-Cinéma le 16 octobre 2015
On ne sera jamais assez reconnaissant à l’Italie d’avoir œuvré avec tant de persistance pour toutes les catégories de cinéphiles. Et pendant qu’une poignée d’intellectuels contestataires se rendaient en salles pour savourer la sophistication d’Antonioni, l’exubérance de Fellini ou la colère politisée d’Elio Petri, une autre catégorie de cinéphages bien plus déviants s’en allaient tremper leurs baskets à la fontaine de Trevi du cinéma bis, là où les amateurs de nanars décomplexés s’en allaient trouver leur bonheur. Et si les auteurs étaient légion (citons Fulci ou Argento), le reste de la production s’en donnait à cœur joie dans le western sanglant, le polar hardcore et toute une tripotée de sous-"Mad Max" bien ridicules, devant lesquels la grosse rigolade était souvent de rigueur. Mais on oublie parfois un autre genre de cinéma bis, bien plus extrême, que l’Italie aura carrément inventé et qui n’aura jamais trouvé de digne héritier au-delà de ses frontières…
Lancé en 1972 par le ringard "Au pays de l’exorcisme" d’Umberto Lenzi, le film de cannibales s’est imposé comme un genre propice à tous les fantasmes, en général les plus exagérés. Du coup, remettons un peu les choses dans leur contexte. Même si Ruggero Deodato aura réussi avec le mythique "Cannibal Holocaust" à insuffler une subversion réflexive assez inouïe à ce genre pour le moins médiocre, le film de cannibales n’a jamais cessé d’obéir à des règles aussi pauvres qu’invariables. Soit des scénarios qui se ressemblent tous (toujours la même histoire d’explorateurs caucasiens qui se font dévorer par des tribus amazoniennes), des acteurs encore moins crédibles que Nadine Morano dans un meeting de SOS Racisme, des doublages français à pisser de rire, une laideur visuelle maladroitement dissimulée sous une caution documentaire, et bien sûr, le désir revendiqué de pousser aussi loin que possible le curseur de la surenchère gore, saupoudrée d’un zeste d’érotisme racoleur et de passages snuff à la ramasse qui nous montrent plein écran l’étripage de véritables animaux.
On l’aura donc compris : savourer un film comme "The Green Inferno" impose impérativement au spectateur d’y aller à jeun, sans quoi le contenu de son estomac aura toutes les chances de finir éparpillé sur le pantalon de son voisin. Ça, c’est pour les néophytes. Du côté des fans, ce revival totalement inespéré du film de cannibales par un cinéaste autoproclamé fan hardcore n°1 (Eli Roth n’a jamais caché que "Cannibal Holocaust" était son film préféré) fera à peu près le même effet qu’à un cannibale affamé qui attendrait depuis trop longtemps l’aventurier imprévu capable de rassasier son appétit vorace. En somme, autant se jeter vite fait sur le plat proposé et en savourer chaque petite variation gustative, même si l’on connaît déjà le goût d’une telle viande rouge…
Véritable déclaration d’amour au genre, "The Green Inferno" en respecte les fondamentaux avec une vraie déférence, et ce au travers d’un récit on ne peut plus archétypal. Revoilà donc la traditionnelle équipe de jeunes aventuriers (en l’occurrence des activistes en débardeur et en short) qui s’en vont se crasher en Amazonie pour finalement se reconvertir en viande rouge de premier choix, coupée, tranchée, préparée et assaisonnée sur place par une horde de cannibales en manque de rituels débiles. Et là-dessus, les fétichistes de barbaque peuvent d’ores et déjà aiguiser leur fourchette. Démembrements en veux-tu en voilà, énucléations à l’os pointu, broyages répétés d’articulations, auto-égorgements désespérés, cuisson de chair humaine, tortures aux fourmis rouges, service trois pièces chatouillé par une mygale, excision sans anesthésie, et j’en passe… Sans oublier le coup hilarant de la gastro démesurée qui fait beaucoup de bruit quand elle arrive au moment le plus inopportun… Eli Roth ne recule devant rien et se lâche dans les extrêmes, sans aucune crainte d’aller trop loin.
Outre une fiesta gore d’une très grande variété dans le choix des sévices, ce qui fait également très plaisir réside ici dans le manque total de maturité dont fait ici preuve Eli Roth. Déjà remarqué pour le caractère politiquement incisif de la saga "Hostel", le bonhomme laisse toute forme de morale se faire cuire encore vivante au four, et ce en chargeant tous ses personnages – y compris son héroïne – de toutes les tares les plus folles. Entre des tribus primitives réduites au rang de barbares sanguinaires (notons une sorcière tarée au look ironiquement copié sur Jack Sparrow !) et de gentils écologistes cachant en réalité une âme de bobos cyniques et débectants, les deux camps du film signent la fidélité d’Eli Roth à un genre qui, au-delà de ses lancements de tripaille, s’est souvent attaché à servir de regard ironique sur nos sociétés culturellement anthropophages. En cela, l’ironie immature dont Roth faisait jusque-là un usage – plus ou moins – irréfléchi dans ses films trouve ici la plus idéale des justifications, surtout au regard d’une conclusion politiquement incorrecte sous forme de gros doigt d’honneur renvoyé à notre statut d’animal social, autant guidé par son instinct de survie que par l’exhibition de son statut de « victime ».
Mais comme toujours chez le réalisateur, ce sous-texte subversif n’est qu’une piste lancée par le récit qui ne supplante en aucun cas le divertissement auquel se résume avant tout une entreprise plus modeste qu’elle n’en a l’air. Loin de toute velléité cathartique ou politique, et avant tout motivé par le désir de réaliser un pur festival cul, caca et gore avec les mêmes tripes que ses prédécesseurs, Eli Roth reste de ces cinéastes clairement « bisseux » qui ne visent qu’à s’amuser en abordant les genres qui leur tiennent à cœur. Le genre de réalisateur mal élevé et joyeusement cynique pour qui l’humour régressif ne pointe jamais aux abonnés absents quand il s’agit de vénérer un genre culte. Ce que le générique final ‒ entre la révélation des comptes Twitter de toute l’équipe (vous savez quoi faire en fin de projo…), les remerciements à Jean-Jacques Beineix (!) et la dédicace finale à Ruggero Deodato ‒ a parfaitement su entretenir, au-delà du récit proposé… Sur ce, bon appétit.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur