LE GRAND CAHIER
Souffrir pour grandir. Grandir pour survivre.
Dès leur arrivée chez la grand-mère, les jumeaux ressentent de plein fouet le contraste entre la douceur de leur giron familial (confortable, spacieux, moderne, aimant) et l'austérité du lieu et la vulgarité de cette femme. Cette vie dorée est désormais derrière eux. Leur enfance… Qu’ils doivent définitivement abandonner pour survivre dans un environnement aussi dévastateur et dévasté.
"Le Grand cahier" nous plonge dans l'horreur de la seconde guerre mondiale ; les enfants, livrés à eux-mêmes, y côtoient les nazis, la délation, les camps de concentration, tout autour n'est qu'atrocité et désolation. Ainsi, le film se recentre au cœur de la lutte que se livrent les deux garçons contre ce monde extérieur hostile et destructeur. Leur intelligence et leur gémellité seront les forces qu'ils mettront en œuvre pour apprendre à s'endurcir, à résister à la faim, à la torture, au froid, aux allemands, mais aussi à leur grand-mère, tout comme à leurs sentiments qu'ils perçoivent comme des signes de faiblesse capable de les perdre. Ils sont si déterminés et efficaces qu'ils commencent à perdre toute valeur morale, dernier héritage de l’éducation parentale.
Dans le cahier, on découvre, écrites ou dessinées, les horreurs auxquelles les enfants assistent. Il est aussi le dernier vestige de leur vie d'enfant et sert de transition vers l’âge adulte. Car quelque part, l'histoire raconte de manière symbolique tout ce qu'un enfant devra quitter (ou tuer) pour devenir adulte. Ici, les jumeaux atteindront la maturité, en redéfinissant leurs propres valeurs du bien et du mal. On pense aussi à la définition de l’intelligence selon Darwin : s’adapter à son environnement pour survivre. Et les jumeaux ne reculeront devant aucun sacrifice ni aucun crime pour devenir invincibles ou du moins insensibles.
Adapté du roman d’Agosta Kristof, le film de János Szász est dur et éprouvant, mais le réalisateur parvient à transmettre une lumière à travers la noirceur et la dureté des regards, à travers les paysages naturels et la sobriété de la mise en scène. Il exploite par exemple la résonnance des visages des jumeaux en montrant sur l’un ce que l’autre ressent ou exprime. Lázló et András Gyémánt, les jeunes comédiens, sont troublants. La grand-mère, interprétée par Piroska Molnár, est un autre personnage central. Massive, elle fend lentement l’armure alors que les jumeaux s’en construisent une autour de leurs sentiments. Enfin, l’officier allemand, joué par Ulrich Thomsen (vu actuellement dans la série "Banshee") est ambigu. Ami ou ennemi ? On hésite, alors qu’Agosta Kristof le décrit clairement comme un pédophile dans son roman.
Loreleï Colin-MoreauEnvoyer un message au rédacteur